Tunisie. La classe politique règle ses comptes sur la tombe de Bourguiba
Le président de la république Kaïs Saïed s’est rendu ce matin mardi au mausolée de Habib Bourguiba à Monastir où une cérémonie était organisée en ce 6 avril commémorant le 21ème anniversaire du décès du leader national.
Mais l’allocution à la teneur tant politique que fébrile et agitée prononcée par l’actuel président fait apparaître cette visite davantage comme un prétexte pour une escalade supplémentaire dans le conflit qui oppose Saïed aux autres versants de l’exécutif.
Signe qu’il s’agit là d’un revirement de Carthage qui tente de rectifier le tir à l’aune de l’actuelle crise qui affaiblit le Palais, aucune célébration n’avait pourtant été tenue par la présidence à l’occasion du 20 Mars dernier, fête de l’indépendance, tout comme aucune commémoration nationale n’avait encore moins été organisée l’année dernière le 6 avril 2020, officiellement pour cause de confinement.
Organisée en grande pompe à Monastir, la cérémonie d’aujourd’hui a cette fois rassemblé plusieurs figures du mouvement bourguibiste et des membres de la famille du défunt « combattant suprême ». Kaïs Saïed a récité la Fatiha à la mémoire du premier président post indépendance du pays, pour ensuite se livrer à un discours véritable objet de sa visite.
Deux semaines auparavant, le chef du gouvernement Hichem Mechichi avait devancé le président Saïed à Monastir, utilisant une fois n’est pas coutume et à contre-courant la date du 20 mars pour se recueillir sur le même mausolée de Bourguiba. A l’apogée de la lutte existentielle qui les oppose, les deux hommes se cherchent tour à tour une légitimité qu’ils peinent à mobiliser, en s’affichant au pied de ce symbole constitutif de l’identité moderne du pays.
Malaise à Monastir
Néanmoins les membres de la famille de Bourguiba ont sans doute moyennement apprécié les envolées acrimonieuses, quelque peu confuses et empruntées, d’un Kais Saïed qui n’avait peut-être ni la carrure, ni l’ADN politique, ni l’envergure pour venir vociférer sur cette prestigieuse esplanade historique.
Traditionnellement, le lieu et l’occasion ne se prêtent guère en effet à de longues minutes de réactions à la cuisine interne de Carthage, exposée publiquement par le président qui a encore une fois détourné une cérémonie officielle pour menacer ses adversaires, notamment islamistes sans les nommer, de représailles, à commencer par son refus de la loi portant création de la Cour constitutionnelle, sujet sur lequel il s’est longuement attardé.
Dans ce qui s’apparente à une volonté manifeste de révisionnisme historique, Kais Saïed s’est par ailleurs livré à une interprétation personnelle des convictions religieuses de Bourguiba : « On dit souvent que Bourguiba était l’ennemi de l’islam mais ce sont des foutaises ! », s’est-il indigné, avant de poursuivre sur ce qui à ses yeux est « le vrai islam », allusion aux islamistes d’Ennahdha et leurs alliés qu’il va désigner en filigrane par un « ils », les qualifiant d’« hypocrites ».
Scandale concomitant des fuites du Palais
Au même moment où le président faisait son coming out bourguibiste, le député Rached Khiari, connu pour son ébruitement de diverses écoutes et enregistrements clandestins, révélait ce qu’il considère comme « une bombe » : une surprenante conversation entre l’influente éditorialiste Maya Ksouri et la chef de cabinet du président, Nadia Akacha, où la première promet un plan, exécuté depuis, de l’éviction d’Elyes Fakhfakh du pouvoir pour le remplacer par celui qu’elle qualifie d’ « homme de paille » : Hichem Mechichi.
De l’eau a coulé sous les ponts depuis, et ce dernier s’est rebellé en se rapprochant à son tour d’Ennahdha pour assurer une majorité gouvernementale. Mais l’échange entre les deux femmes choque une partie de l’opinion qui découvre un Palais de Carthage dont les arcanes sont aux mains de conseillères occultes et d’un intense lobbying aux ramifications complexes. Un cabinet noir qui semble exercer un pouvoir dépassant aisément la personne du président.