L’IVD se penche sur les violations commises en marge de la période de l’indépendance

 L’IVD se penche sur les violations commises en marge de la période de l’indépendance


Pour la huitième séance d’audition publique sous l’égide de l’Instance Vérité & Dignité, des victimes de violations des droits de l'Homme ont de nouveau témoigné en public le 24 mars au soir. Retransmis en direct à la télévision, ils concernent cette fois la période de l'indépendance de la Tunisie en 1956, après 75 ans de protectorat français.


L'IVD s'est notamment penchée sur le sort de certains partisans du nationaliste arabe Salah Ben Youssef, principal rival du premier président tunisien Habib Bourguiba. Les deux hommes étaient partisans du Néo-Destour, le parti nationaliste créé en 1934, mais Ben Youssef en avait été exclu en 1955 avant d'être condamné à mort et à l'exil. Il avait mystérieusement été assassiné en 1961 en Allemagne.



« Malgré nos sacrifices, nous avons été traités de traîtres et non pas comme des combattants parce que nous étions des partisans de Salah Ben Youssef. Nous avons trop subi et nous avons été privés de nos droits », a déploré Omar Essid, un ancien combattant de 84 ans.



« Je veux vivre respecté et non pas humilié et considéré comme un traître", a-t-il réclamé, avant de témoigner à propos de la résistance aux Français s'organisait entre les gens de Dehiba et Tataouine, entre les tribus, les discussions autour de Bourguiba et de Ben Youssef, et les déplacements en Libye pour organiser la résistance : « Nous étions prêts à être maquisards, la résistance aux Français allait de soi ».


« Nous nous sommes éparpillés dans les montagnes. Il y a eu des coups de canon et des bombardements, il n’y avait pas un équilibre des forces. Les tirs ont continué jusqu’à 3h du matin, nous n'avions plus de munitions. Nous sommes devenus des prisonniers. Nous étions 7 prisonniers, on nous a ligotés. On marchait en file indienne jusqu’à arriver à un ravin au sommet de la montagne. Mon cousin a été criblé de 15 à 16 balles, un gendarme a dit « ah il est tombé »… ensuite c’était mon tour. Je savais qu'au moment où nous avions quitté nos maisons, nous avions la mort entre les yeux » raconte le Yousséfiste.

 


Après 1956, les prisonniers yousséfistes voient Bourguiba leur rendre visite en prison : « Mes enfants, dans cet état, vous êtes dans un piteux état… aujourd’hui 160 combattants armés vont rentrer chez eux, s’exclame l’ancien président. C'était Grand jour, sauf qu'il a ajouté "hormis les responsables" alors que tout le monde aurait dû être libéré », explique l’ancien combattant yousséfiste. Les batailles historiques de Sakiet Sidi Youssef et Remada s'ensuivent contre l'occupation française en 1958, auxquelles le yousséfiste contribue et il s'inscrit même comme volontaire pour la bataille de l’évacuation de Bizerte.


En novembre 1955 des opérations de liquidation contre l'opposition yousséfiste ont été menées par des Tunisiens soutenus par les forces françaises, ces "comités de protection" ont même été officialisés par la municipalité de Tunis qui rémunérait par des salaires les personnes menant ces opérations, a-t-on par ailleurs appris vendredi soir.


 


Ouled Chraïet, un village puni collectivement 




Autre résistant à la colonisation française, Lazhar Chraïti, accusé d'avoir participé à une tentative de coup d'Etat contre Habib Bourguiba, avait été exécuté en 1963 et inhumé dans un endroit encore inconnu. Lorsqu’en juin 2016, une délégation de l’IVD visite son village natal, une petite bourgade située non loin de Redeyef, gouvernorat de Gafsa, un habitant s’indigne : « Ici nous voyons passer le train transportant le phosphate tous les jours, mais nous ne disposons pas de la moindre infirmerie, nous avons construit notre propre école primaire, et nous n’avons jamais eu de route goudronnée. Le tort de ce village déserté par ses habitants ? Avoir enfanté Lazhar Chraïti ».



Dans un enregistrement vidéo diffusé lors de ces nouvelles auditions, sa veuve Taouess Chraïti a raconté avoir été torturée pour avoir refusé de dévoiler la cachette de son mari, qui n'avait jamais été reconnu comme combattant sous le régime de Bourguiba. Aujourd'hui, ce qu'elle souhaite avant tout savoir, c'est où son mari a été inhumé. "Je veux récupérer sa dépouille et l'enterrer dans sa ville natale", a-t-elle expliqué.



« Ce soir aux auditions publiques, les principales victimes écoutées sont des résistants youssefistes. Les voir ainsi raconter l'histoire va à l'encontre du récit national officiel depuis l'indépendance qui les a effacés au profit des résistants qui ont fait allégeance à Bourguiba… En un sens, la décolonisation réelle commence maintenant », a affirmé l’anthropologue Stéphanie Pouessel, en marge de la séance d’audition.


 


S.S