L’islam démocrate, ou « la renaissance » d’Ennahdha

 L’islam démocrate, ou « la renaissance » d’Ennahdha

Rached Ghannouchi devrait sans surprise être réélu à la tête d’Ennahdha ce weekend


Vendredi 20 mai est un jour à marquer d’une pierre blanche pour Ennahdha. L’ampleur de l’évènement ferait presque oublier qu’il s’agit de l’ouverture d’un congrès et non d’un méga meeting politique. Le rouleau compresseur du parti a impressionné par la rigueur de son organisation et la discipline de ses bases, capables de scander en chœur à Radès le nom de Béji Caïd Essebsi, l’ennemi d’hier… Un congrès unanimement qualifié de réussite, avec à la clé la naissance d’un du concept de l’islam-démocratie, une autre facette de l'exception tunisienne. 




 


 


Minutie, ordre et sans-faute organisationnel


C’est à Hammamet que se poursuivent aujourd’hui samedi 21 et dimanche 22 mai les travaux du 10ème congrès d’Ennahdha. Le gigantisme de la cérémonie d’ouverture, qui a fédéré des milliers de militants, ne doit rien au hasard. Méticuleusement préparé depuis plus d’un an par un réseau de comités régionaux qui ont préalablement organisé pas moins de 279 mini congrès locaux, 24 congrès régionaux, et 4 congrès sectoriels. Au programme en sus des classiques élections des instances dirigeantes, le bilan critique des quatre dernières années par un millier de participants, la redéfinition des choix stratégiques, et la discussion des aspects programmatiques pour l’étape à venir.


« Je vais être franc avec vous. J’ai hésité avant de venir. Mes fonctions m’obligent à observer une distance égale vis-à-vis de l’ensemble des partis », a déclaré le président de la République, en ouverture du congrès. Son invitation vient en guise de politesse rendue à la présence de Rached Ghannouchi au simulacre de congrès de Nidaa Tounes à Sousse, qui avait été unanimement qualifié de « mascarade », préparé seulement quelques semaines à l’avance et dont les élections internes n’avaient pas été reconnues, résultant en une scission de Nidaa. Entre Sousse et Radès, le contraste est saisissant…


 


L’AKPisation en marche, ou le post-islamisme


Dans un discours vraisemblablement écrit pour lui en arabe littéraire, Essebsi s’est félicité de « l’abandon du statut de parti idéologique généralement porteur de pensée totalitaire ».


Dans son allocution, Ghannouchi a quant à lui fait l’éloge de la résilience d’Ennahdha : « combien de fois le pays fut au bord de la rupture », allusion à la patience du parti qui a su temporiser et même quitter le pouvoir lorsqu’il le fallait. Le (ex) cheikh a en outre spécialement salué « la mémoire des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ».


Abondant dans le même sens, Abdelfattah Mourou est allé plus loin en osant marcher sur les platebandes de Nidaa Tounes : « La Tunisie avant Ennahda ! » a-t-il déclamé, sorte d’écho au slogan nationaliste du parti à référentiel destourien.


En se sécularisant en ces termes, le parti le plus représenté à l’Assemblée démontre que la sécularisation du pays se fait idéalement par le bas, et non par la promulgation d’une Constitution, aussi singulière soit-elle, et encore moins par l’autoritarisme de l’Etat, qui sous Bourguiba puis Ben Ali avait tenté une démarche moderniste verticale, d’abord paternaliste puis policière.    


En somme, l’évolution d’Ennahdha aujourd’hui est comparable au renoncement universel des partis de gauche modernes au credo marxiste, au profit du socialisme puis à la social-démocratie. A la différence près que le renoncement se fait ici davantage au religieux qu’à l’idéologique, ce qui est plus méritoire encore aux yeux de nombre d’analystes.  


Pour autant, François Burgat est plutôt pessimiste : « la séparation de l’appareil de prédication et de l’appareil politique d'Ennahda est intéressante. Pour autant, elle n’aura pas pour effet de « mettre fin à l’ère de l’islam politique » comme certains aimeraient pouvoir l’annoncer. Elle n’affectera bien sûr que très peu les formations qui ne s’y reconnaissent pas, avec lesquelles elle creusera même la fracture. Ce sera d’ailleurs sans doute le cas dans l’arène tunisienne où Ennahda est très loin de faire le plein du potentiel des “voix” islamistes et où son évolution vers le centre puis vers la “périphérie”, laisse aujourd’hui plus d’espace à des mobilisations plus radicales », avertit le politologue.


Quoique dans leurs rôles, gauche et extrême gauche n'ont réagi qu'hostilement. Ainsi Samir Bettaieb a considéré que la résistance de la société tunisienne est la seule raison qui a poussé Ennahdha à réviser ses plans et qu'il n'y aura pas de séparation entre prédication et politique à l'occasion de ce congrès. Quant à Ammar Amroussia, il a estimé que "le projet des Frères musulmans est un projet destructeur pour les patries arabes".



En s'en tenant aux procès d'intention, la gauche prend le risque de s'enfermer dans un mode de pensée éradicateur marginalisé par l'Histoire.


 


Seif Soudani