L’intenable configuration du Parlement tunisien

 L’intenable configuration du Parlement tunisien


Couvertures, couettes et matelas à l’Assemblée des représentants du peuple, c’est le spectacle que donnent à voir les parlementaires du Parti destourien libre (PDL), formation issue de l’ex RCD dissout, en ce début de législature extrêmement houleux. Un épisode annonciateur de bien d’autres encore, qui malgré sa trivialité, n’est pas à prendre à la légère.



 


En cette époque où le terme « fascisme » est souvent employé à tort et à travers pour désigner toutes sortes d’autoritarismes ou de dépassements perçus comme tel, il convient de s’en tenir à certains dénominateurs communs des fascismes historiques.


Parmi eux, il y a ce que l’on pourrait qualifier du coup d’éclat permanent. Au risque de commettre un « point Godwin », et sans aller jusqu’aux péripéties de l’incendie du Reichstag, les fascistes allemands, les S.A, tout comme les chemises brunes italiennes, pratiquaient tout au long de leur ascension au pouvoir au siècle dernier diverses irruptions dans les lieux publics, où ils s’invitaient dans des réunions d’autres partis ou organisations, afin d’haranguer les foules et de provoquer l’audience.


 


« Rivoluzione fascista »


C’est cette même sorte d’appropriation par la force des espaces adverses, un comportement belliqueux inspiré des razzias, de l’intimidation et des butins de guerre, qui a été observé lors de l’irruption en commission des finances de la députée et avocate Abir Moussi, chef du bloc PDL (17 sièges), l’occupation du parterre de l’hémicycle qui s’en est suivie, et toutes les autres perturbations des travaux de l’ARP de ces dernières 72 heures.


Le sit-in conduit par cette égérie des nostalgiques de l’ancien régime bénaliste n’a en effet en réalité rien des sit-in victimaires ou gauchistes type grèves de la faim.  


A l’origine de cette escalade qui a tout d’un prétexte, une dispute verbale entre les élus du PDL et une députée Ennahdha, Jamila Ksiksi, qui les a qualifiés de « bandits » et de « clochards ». S’en est suivi sur les réseaux sociaux des campagnes de dénigrement de la députée islamiste via des injures raciales ciblant sa couleur de peau. La chef du PDL ayant requis des excuses et sa requête étant restée lettre morte, elle et son bloc promettent de paralyser les travaux du Parlement, en cette période cruciale de discussion de la loi de finances et du budget de l’Etat.  


Quel que soit le degré d’antidémocratisme et d’égocentrisme des agissements du PDL et affiliés, il serait incomplet de conclure à une provocation totalement gratuite de la part de cette formation. Car sans lui trouver d’excuses aucunes, en politique le fascisme a toujours prospéré surtout en présence d’éléments facilitateurs (humiliation nationale, traité de Versailles en Europe, sentiment d’injustice d’une grandeur révolue, etc.).


Or, après une décennie de pouvoir considéré comme « occulte » par certains, du moins maniant l’art de se mettre en retrait le temps des crises, il est aujourd’hui évident que l’espace vital stratégique et affiché de l’islam politique tunisien est essentiellement parlementaire. Si bien que l’avènement de Rached Ghannouchi à la tête du Parlement n’est que la consécration de bientôt 10 années de règne sur l’Assemblée, au moment où le parti chasse de ses rangs les cadres BCBG modérés qui lui ont un temps servi de devanture, à l’image de la démission cette semaine de son secrétaire général Zied Ladhari, et de la mise à l’écart de Hatem Boulabiar, ancien membre de la Choura.


A l’heure où le parti islamiste recycle d’anciens députés au bilan peu reluisant et où les rouages administratifs de l’Assemblée sont dominés par des loyautés nahdhaouis, le « show » Abir Moussi, qui refuse d’appeler Ennahdha autrement que « Parti des Ikhwan » (Frères musulmans), sert d’exutoire à une partie du peuple amusé par tant de chaos parlementaire sur les réseaux sociaux.


Dans ces conditions, quand bien même un gouvernement réussissait à se former, difficile de croire que pareille Assemblée pourrait tenir 5 années en l’état de forces en présence non pas divergentes, mais profondément antagonistes.