L’inéluctable départ d’Habib Essid

 L’inéluctable départ d’Habib Essid

Habib Essid


Le 2 juin dernier, Béji Caïd Essebsi jetait un pavé dans la marre : au moment où l’on pensait que le gouvernement d’Habib Essid allait se maintenir tant bien que mal dans sa version remaniée, le président de la République s’est déclaré lors d’une mise en scène savamment préparée « pour un gouvernement d’union nationale ». Plus qu’un simple désir ou d’un vœu pieux, nous sommes face à une quasi injonction, comme dans un authentique régime présidentialiste. Décryptage. 




 


Pour comprendre les motivations de cette annonce surprise, il faut revenir quelques mois en arrière à l’épisode de l’implosion de Nidaa Tounes et dont le gouvernement Essid ne s’était en réalité jamais remis. Déjà né sous une forme bâtarde de gouvernement proportionnellement non représentatif des forces parlementaires en présence, ce gouvernement devenait d’autant plus illégitime après la dislocation du parti présidentiel en ruines, maintenu sous perfusion par le fils du président, Hafedh Caïd Essebsi.


Bien avant cette débâcle, Ennahdha avait déjà discrètement mais régulièrement réclamé son dû : beaucoup plus que les quatre strapontins gouvernementaux dont un seul ministère (celui de l’emploi). Le 20 mai dernier, le parti de Rached Ghannouchi enfonçait le clou avec un congrès évènement qui consacrait une supériorité numérique et logistique désormais visible aux yeux de tous, avec en prime le président Essebsi en invité speaker.


En Ballotage, il était de plus en plus évident que le gouvernement Essid ne tiendrait que difficilement jusqu’aux prochaines municipales, alors même que l’actuel chef du gouvernement était jusqu’ici considéré comme le commis de l’Etat homme de la jonction entre Ennahdha et Nidaa. Aujourd’hui le parti aux 69 sièges veut plus, et il est pressé.  


Invoquée pour le limogeage du gouvernement seulement 1 an et demi après son investiture, la crise économique apparait davantage comme le prétexte à la validation d’un projet prééxistant.


 


Plusieurs scénarios de sortie de crise


Dans son très complice numéro avec le journaliste Elyes Gharbi, Essebsi fait d’abord un appel du pied à la gauche en invoquant la grogne de l’UGTT insatisfaite du choix de certains ministres… Pour y remédier, le président propose d’intégrer la centrale syndicale au gouvernement : « Nous avons maintenant plusieurs organisations nationales, telles que l’UGTT et l’UTICA (centrale patronale, ndlr)… Elles avaient participé au tout premier gouvernement d’Habib Bourguiba ». Est-ce donc un énième remake du bourguibisme d’antan qu’on nous propose, sorte de recette miracle du retour à l’identité première du pays ?


Deux anomalies cependant, soulignées par les détracteurs de cette nouvelle initiative du « sauvetage » : est-ce bien le rôle d’un président de la République de prendre acte des doléances d’un syndicat ? Surtout est-ce le rôle de Carthage, sous la deuxième République, de pousser un chef de gouvernement, chef de l’exécutif, vers la sortie ? Car quand bien même le président salue la « performance honorable » d’Essid, le message est on ne peut plus clair.   


Conséquence immédiate : les démissionnaires de Nidaa Tounes se ruent sur l’option retour au bercail du parti, à l’instar de Sabrine Goubantini et de Mohamed Rachdi, sentant le vent tourner et le futur grand gouvernement d’alliance Ennahdha – Nidaa imminent.


Car le scénario le plus envisageable aujourd’hui est le suivant : l’UGTT soutenant ce « gouvernement d’union » mais n’y participant pas neutralise de facto une participation en solo de l’UTICA, assez impensable au risque de tomber dans une configuration purement affairiste. En piteux état, les deux partis UPL et Afek Tounes vont se voir attribuer un quota à la baisse humiliant qu’ils peuvent refuser.


Un boulevard sera alors ouvert vers une cohabitation à parts égales entre les deux titans de l’islam démocrate et de l’ancien régime.


 


Seif Soudani