L’improbable défilé des candidats à la présidentielle

 L’improbable défilé des candidats à la présidentielle

Florilège de candidatures déposées à ce jour


Depuis le démarrage de la réception des candidatures pour la présidentielle anticipée le 2 août dernier, pas un jour ne passe sans son lot de candidats tous plus excentriques et loufoques les uns que les autres, côtoyant à l’ISIE des candidats institutionnels autrement plus sérieux. Au terme de quatre jours de ce cortège surréaliste, des voix s’élèvent pour « stopper cette mascarade » et redorer son blason à la fonction de la magistrature suprême. Mais qui doit-on tenir pour responsable de cette embarrassante situation ?


C’est le vendredi 9 août à 18h00 que sera clos le processus de réception des candidatures, suivi d’un délai de recours en première instance puis en appel. La liste définitive des candidats retenus sera quant à elle publiée au plus tard le 31 août. Entre temps, l’affluence ne faiblit pas au siège central de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) situé aux Berges du Lac de Tunis.


 


A chacun son quart d'heure de célébrité


Dès l’ouverture des portes de l’ISIE le 2 août, une image forte va marquer cette journée historique : face à Nabil Karoui, un candidat controversé mais avec de réelles chances à la présidentielle selon les sondages, se tient un inconnu au bataillon tout aussi matinal, blotti sur l’un des fauteuils de la salle d’attente. Ce dernier, le dénommé Alaya Hamdi, va assurer à la presse en sortant qu’il compte « éradiquer la corruption », qu’il est « expert international » (sic) et que c’est grâce à ses conseils qu’Barack Obama et François Hollande furent élus… On comprend rapidement que l’on a affaire à un mythomane probablement atteint de troubles psychiatriques.


Le lendemain, un brigadier-chef de police, Fathi Khemais Krimi, autre personnage illuminé aussi anonyme que haut en couleurs, était suspendu de ses fonctions pour avoir déposé sa candidature à l’élection présidentielle. Son administration de tutelle au ministère de l’Intérieur prévoit contre lui des mesures disciplinaires, selon un document qu’il a lui-même dévoilé.


Cette dialectique des candidats dits sérieux, mis sur le même pied d’égalité que des candidats fantaisistes en recherche d’attention médiatique, va se reproduire jusqu’à faire de ce rendez-vous civique et politique un sujet de railleries de la rue tunisienne et des réseaux sociaux, au moment où Nermine Sfar, une sulfureuse starlette, annonçait à son tour lundi soir son intention de se présenter à la présidentielle, tant qu’à faire, après qu’un artiste SDF en ait fait autant…


 


Que dit la loi ?    


Concrètement, l’Instance notifie chaque candidat de sa décision quant à la validité ou non de sa candidature, dans un délai de 24 heures, avec justification des motifs d’irrecevabilité. Problème : avant cela, non seulement les médias à l’affut du moindre scoop lors de cet exercice démocratique relativement inédit en Tunisie, ne manquent pas d’interviewer les uns et les autres, mais la page officielle de l’ISIE elle-même consacre un shooting photo, bannière officielle en arrière-plan, à chaque candidat muni d’une simple pièce d’identité.


D’où le spectacle en continu auquel assistent les Tunisiens, depuis que les candidats les moins scrupuleux ont compris qu’ils n’avaient ni à s’acquitter de la caution de 10 milles dinars nécessaires (environ 3000 euros), ni à fournir la liste de leurs parrainages, pour pouvoir accéder à ce premier seuil préliminaire de la notoriété.    


Qu’ils soient partisans ou indépendants, les candidats doivent pourtant impérativement remplir les conditions stipulées dans les dispositions de la loi organique n°2014-16 du 26 mai 2014 (et finalement non amendée en 2019), relative aux élections et aux référendums.


Quant aux parrainages, chaque candidat à l’élection présidentielle doit obtenir le soutien d'au moins 10 députés de l’ARP ou de 40 présidents des conseils de collectivités locales élus. Autrement, les prétendants au Palais de Carthage doivent collecter les signatures de pas moins de 10 mille électeurs inscrits au registre des électeurs. Des signataires qui doivent être répartis sur au moins 10 circonscriptions électorales, à condition que leur nombre ne soit pas inférieur à 500 électeurs dans chacune des circonscriptions.


S’agissant de la somme de 10 mille dinars que chaque candidat est appelé à déposer à la trésorerie générale, le montant est restitué aux candidats à condition d’obtenir au moins 3% des suffrages exprimés à la proclamation des résultats.  


Si le droit certes constitutionnel de se porter candidat est donc soumis à des conditions draconiennes, la faille légale utilisée par les aspirants à une brève gloire médiatico-symbolique réside dans le fait que les candidats sont simplement appelés à fournir les pièces manquantes dans le délai n’excédant pas la clôture du dépôt des candidatures. Or, les textes régissant ce processus ne peuvent être révisés aujourd’hui, en cours de route, car déjà appliqués lors des cinq premiers jours.


De quoi garantir la poursuite du show né du zèle inattendu des candidats incongrus, finalement sorte de rançon de l’apprentissage démocratique, en attendant que les membres de l’ISIE n’en tirent les leçons nécessaires qui seront sans doute suivies de recommandations en vue des scrutins futurs. 


 


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