L’épineux choix de Salma Elloumi au cabinet présidentiel

 L’épineux choix de Salma Elloumi au cabinet présidentiel

Selma Elloumi Rekik à Sousse le jour de l’attentat de l’Hôtel Imperial Marhaba. Photo Seif Soudani / LCDA


C’est la dernière intrigue en date de la querelle au sommet de l’Etat Béji Caïd Essebsi / Youssef Chahed. En s’apprêtant à désigner la ministre du Tourisme Salma Elloumi Rekik à la tête de son cabinet, le président de la République créé également un précédent protocolaire. Explications et portrait.


La nouvelle est ébruitée dans la soirée du 21 au 22 octobre par Mosaïque FM, relayée ensuite par la députée et nouvelle porte-parole de Nidaa Tounes, Ons Hattab, qui adresse même un message de félicitations précoce à la ministre encore en poste Salma Elloumi (62 ans), tout en se réjouissant qu’une femme soit nommée à ce poste.


En temps normal, une telle nomination, non encore officielle, n’aurait sans doute pas été fuitée aux médias de la sorte par le Palais. Mais au moment où la guerre parricide entre Carthage et la Kasbah fait rage, tous les coups sont manifestement permis dans ce qui s’apparente aussi à une guerre psychologique.


Le chef d'Etat Béji Caïd Essebsi aurait donc décidé de nommer Salma Elloumi, actuelle ministre du Tourisme, au poste de cheffe de cabinet de la présidence de la République.


Rappelons d’abord le contexte de ce coup de force. Le poste clé de chef de cabinet était vacant depuis bientôt deux semaines : le jeune Slim Azzabi, ancien directeur de cabinet de la présidence ayant présenté sa démission, payant selon ses proches se proximité affichée avec Youssef Chahed, et ce malgré ses liens de cousinage avec la famille Caïd Essebsi. Le même Slim Azzebi hériterait du ministère de la Coopération internationale au prochain remaniement.


Ensuite, les rumeurs de remaniement ministériel imminent, attendu dans le courant de semaine, vont bon train. Et elles annoncent le portefeuille du Tourisme comme concerné par les départs, en sus de la Justice, la Santé, l’Agriculture, le Commerce, etc. Or, en riche héritière de l’empire industriel Elloumi, cette femme d’affaires qu’est la sœur de Faouzi Elloumi, grand financier de Nidaa Tounes, est certainement soucieuse de se ménager une sortie honorable du gouvernement. Un chassé-croisé qui la ferait entrer à Carthage par la grande porte.


 


La lutte d’influence des grandes fortunes tunisiennes


Pourtant, la même dame s’était faite remarquer récemment par ce que d’aucuns ont considéré comme des signes de rapprochement avec Youssef Chahed. Le 28 septembre dernier à la Kasbah, Salma Elloumi s’était en effet vu confier, individuellement et par Youssef Chahed en personne, la mission spéciale de l’audit des dégâts matériels post inondations de Nabeul dont elle est originaire. Une sollicitude exceptionnellement rare pour un membre du gouvernement, mais qui n’aura duré qu’un temps.


Si l’on se place du point de vue de l’entourage du président de la République et de Nidaa Tounes dont il a repris depuis peu les rennes, il est de notoriété publique que Nidaa se cherche un successeur loyal et présidentiable au nonagénaire Béji Caïd Esssebsi.


En haut lieu, on sait également que la tendance mondiale est à la présidentialisation des femmes, dixit Jacques Attali en France notamment, où il affirme sans hésiter : « Le président en 2022 sera une femme ! ». Conscient que la Tunisie est coutumière de l’avant-garde en la matière, même Ennahdha ne s’y est pas trompé, en entretenant depuis quelques jours les spéculations sur la possibilité de présenter la maire Ennahdha de Tunis Souad Abderrahim à l’élection présidentielle de 2019.


Mais à se placer du point de vue de la famille Elloumi, le fait d’envisager une telle candidature fait sens tout autant, pour d’autres considérations. Au moment où le richissime homme d’affaires Slim Riahi, lui aussi multi milliardaire en dinars, fusionne son parti l’UPL avec Nidaa Tounes, via la bénédiction de Hafedh Caïd Essebsi, des fortunes plus ancrées et plus anciennes telles que celles d’Elloumi ne voient pas nécessairement d’un bon œil la mise en orbite d’un tel rival qui ne manquera pas d’asservir les structures du parti à ses desseins d’influence politico-économique grandissante.     


Préparer Salma Elloumi à l’investiture suprême, en la familiarisant avec les rouages du Palais, n’est donc pas dénué de sens à la veille de l’année électorale qui se profile, histoire de ne pas laisser le magnat Riahi faire cavalier seul. Reste que d’aucuns mettent en doute la pertinence du choix d’une figure comme Salma Elloumi pour une fonction comme celle de chef de cabinet, qui nécessite un sens de l’humilité de la disponibilité et du service dont on peut penser qu’une personne de cette envergure ne dispose pas.    


Néanmoins, affaibli, le camp Essebsi n’a visiblement pas d’autre choix que de recourir à une cohabitation avec les « forces de l’argent ».


« Salma Elloumi prendra son nouveau poste à partir du 1er novembre 2018 et demeure à la tête du Tourisme jusqu’à la prise de sa nouvelle fonction », annonce un média de la place qui va peut-être vite en besogne en avançant une date aussi proche. Quoi qu’il en soit, il semble que pour remplacer Salma Elloumi, la Kasbah ait déjà jeté son dévolu sur un profil très similaire : celui de la députée Zohra Driss, propriétaire entre autres de l’Imperial Marhaba, hôtel touché par l’attaque terroriste de Sousse en 2015.


Une autre problématique serait probablement soulevée lors du vote de confiance : celle du potentiel conflit d’intérêt entre une cheffe d’entreprise hotellière, en charge du ministère du Tourisme.


 


Seif Soudani


 


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