L’arlésienne du remaniement ministériel
Un ministre du Développement et des Finances inculpé gérant les affaires courantes, une rentrée scolaire sans ministre de l’Education… Le remaniement ministériel dans le gouvernement « d’union nationale » conduit par Youssef Chahed est selon l’ensemble des observateurs devenu impératif, suite aux vacances dans des portefeuilles ministériels clés.
Après avoir temporisé en raison du casse-tête qu’implique un tel remaniement dans le paysage politique tunisien fragmenté, Chahed l’a lui-même reconnu récemment dans une déclaration aux médias, indiquant que « l’heure est venue pour effectuer un remaniement ministériel », sans pour autant donner plus de détails sur sa nature et ses proportions, sans doute en prévision des concertations politiques à engager qui pourraient être aussi longues que laborieuses face aux positions différentes et aux enjeux divergents, selon les principaux acteurs.
Mini jeu de chaises musicales, ou gouvernement Chahed 2.0 ?
A l’évidence, la démission inattendue du ministre du développement et de la coopération internationale et ministre des finances par intérim Fadhel Abdelkefi, le 18 août courant, sur fond d’ennuis judiciaires dont il fait l’objet, a accéléré le processus de remaniement ministériel initialement censé ne pas intervenir avant 2018.
Le nombre des portefeuilles ministériels clés vacants n’a cessé de croître après l’éviction de Néji Jelloul en avril dernier du ministère de l’Education, malgré la proximité des examens du bac, et son remplacement par intérim par l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur Slim Khalbous, outre la démission de la ministre des Finances, Lamia Zribi suite à des propos sur la dépréciation du dinar, et son remplacement par intérim par Fadhel Abdelkefi.
Avant cela, deux mois seulement après sa prise de fonction, Youssef Chahed avait démis de ses fonctions le ministre des Affaires religieuses Abdeljalil Salem pour « non-respect des règles de l’action gouvernementale et atteinte aux principes et constantes de la diplomatie tunisienne ».
Dès le 25 février 2017, le ministre de la fonction publique Abid Briki, proche de la gauche, avait ensuite été relevé de ses fonctions, et son ministère supprimé, causant le premier grand séisme gouvernemental et une brèche dans l’union fragile qui le sous-tend.
Face à cette situation et à la conjoncture économique et sociale difficile du pays, plusieurs composantes politiques ont jugent désormais qu’un remaniement ministériel est nécessaire.
Seulement, les points de vue sur la nature et la forme que doit prendre ce remaniement divergent entre ceux qui proposent un remaniement partiel ou la désignation de ministres dans les portefeuilles vacants, ceux qui privilégient un gouvernement d’obédience partisane reflétant les résultats des élections de 2014 relativement obsolètes, ou encore ceux qui vont jusqu’à proposer des élections législatives anticipées, position radicale du Front populaire.
Cacophonie partisane
Ainsi, le controversé dirigeant de Nidaa Tounes Khaled Chaouket insiste encore sur la nécessité de former un gouvernement reflétant les résultats des élections de 2014.
Pour lui, un gouvernement ne peut pas réussir s’il n’exprime pas les résultats du scrutin. « Je demande encore une fois à restituer le pouvoir à ceux en qui le peuple tunisien a placé sa confiance. Tout autre choix ne peut que perdurer la crise et serait une perte de temps », a-t-il jugé.
Le porte-parole d’Ennahdha Imed Khemiri considère pour sa part que le remaniement ministériel relève des seules prérogatives constitutionnelles du chef du gouvernement. Youssef Chahed doit cependant consulter les composantes de la coalition au pouvoir et se référer au document de Carthage, a insisté Khemiri, rappelant que Chahed dirige un cabinet d’union nationale.
Les ministres appartenant à des partis politiques sont à l’origine de la crise que connait le pays selon le député Hassouna Nasfi du parti Machoû Tounes, qui a déploré « des pressions » subies par le chef du gouvernement de la part de certains membres de la coalition au pouvoir pour « soumettre le remaniement ministériel attendu à la logique des quotas partisans ».
Pour le secrétaire général d’Al Joumhouri Issam Chebbi, « le chef du gouvernement doit s’imposer comme seul capitaine à bord ». « Il doit saisir l’occasion pour annoncer un deuxième gouvernement plus fort et plus solide, dans le respect et la continuité du Document de Carthage », a-t-il suggéré.
Selon le dirigeant du Front populaire Zied Lakhdhar le gouvernement Chahed est finalement le gouvernement « le plus faible » qu’a connu le pays après 2011. Un gouvernement qui, a-t-il expliqué, fait face à de nombreux défis, en l’absence d’un réel soutien politique. Pour lui, « la solution consiste à convoquer des élections législatives anticipées ».
Pour rappel, le gouvernement Chahed, issu du Document de Carthage qui a été signé par plusieurs partis et organisations nationales, est entré en fonction depuis près d’une année après le vote de confiance au parlement le 26 août 2016. En tout état de cause, le remaniement devrait intervenir début septembre 2017 au plus tard, date de la convocation devant la justice de Fadhel Abdelkafi, qui ne saurait comparaître en tant que ministre en fonction.
S.S