L’ancien Premier ministre Mehdi Jomâa fonde un parti néolibéral
L’ancien chef du gouvernement technocrate Mehdi Jomâa a dévoilé en grande pompe le 29 mars 2017 son parti politique qu'il a choisi de nommer « Al Badil Ettounsi » (« l’alternative tunisienne »), se prévalant du fait que la demande de visa légal a été déposée dans la même journée. Un come-back qui ajoute une offre néolibérale supplémentaire dans un paysage politique verrouillé, où il est difficile de se faire une place au soleil, même à grand renfort de gros moyens. Décryptage.
Ancien ministre de l’Industrie rapidement promu Premier ministre par le Dialogue national en janvier 2014 dans un contexte d’extrême tension politique, l’éphémère Jomâa n’aura occupé le Palais de la Kasbah que pendant 11 mois. Mais ce cours mandat technocratique et quasi accidentel lui a semble-t-il donné goût au pouvoir.
Si Jomâa avait promis de ne pas se présenter aux élections présidentielles de l’époque, reconnaissons-lui l’honnêteté de n’avoir jamais prétendu avoir renoncé à une carrière politique. Dès les premiers mois de sa « retraite », cet ancien cadre pendant 20 ans d'Hutchinson, filiale du groupe français Total, crée en effet discrètement un think tank politique basé dans le quartier huppé des Berges du Lac à Tunis.
Très vite, on comprend que l’entité est moins intéressée par le conseil politique que par le statut de prélude à une nouvelle formation politique, à mesure que le nom de Mehdi Jomâa apparaît dans les sondages d’opinion et baromètres politiques, auréolé d’une image relativement intacte au sein d’une sphère politique criblée par la corruption. Pourtant, Jomâa est en réalité lui-même poursuivi par le parti Attayar pour avoir accordé des visas de forages pétroliers dans les tous derniers jours de son mandat à la tête de l’exécutif.
« Macron de la politique tunisienne »
Dès le 21 février dernier, lors d’un premier speech annonçant son retour sur la scène politique, Mehdi Jomâa était critiqué pour sa prestation « peu naturelle », forçant quelque peu sur les ressorts de la communication politique, avec notamment une overdose de body language formaté par les agences com’. Clairement pas un orateur né, il est moins à l’aise à l’oral qu’un Emmanuel Macron, à qui il est de plus en plus comparé.
L’homme se prévaut en effet d’un centrisme pragmatique « macronien », désireux de fonder un mouvement « ni de droite, ni de gauche », ce qui lui vaut le surnom de Macron de la Tunisie, en plus de la dimension providentielle du « sauvetage » que les deux hommes tentent de se donner.
Jomâa a expliqué qu’il a souhaité « faire de la politique autrement » en dessinant les contours d’une politique publique en compagnie de compétences nationales. Parmi elles, de discrets profils tels que son ancien et fidèle collaborateur à la Kasbah Nidhal Ouerfelli, mais aussi l’entrepreneur Lotfi Saïbi, Taoufik Jelassi, Emna Kallel, ou encore le jeune Louaï Chebbi, le fils d’Ahmed Nejib Chebbi.
Et à écouter attentivement le lexique volontariste employé par Jomâa, les références au monde de l’entreprise sont légion. La valeur travail est ainsi exaltée : « C’est à la Tunisie qui travaille, qui ne fait pas de bruit et qui est silencieuse à laquelle on s’adresse. C’est à cette Tunisie de reprendre le flambeau. On sait que le chemin sera difficile, on voit comment se fait la politique aujourd’hui, mais nous ne flancherons pas », martèle le nouveau leader centriste, davantage de centre droit que de centre gauche.
Le timing de l’annonce répond par ailleurs au calendrier des prochaines échéances électorales, quelques mois avant les élections municipales, et surtout deux années et demie avant les présidentielles. Serait-ce une fatalité de notre époque ? A la mort des idéologies succède une nouvelle race de politiciens transfuges de grands groupes industriels et financiers. Une donne avec laquelle devra composer la jeune démocratie tunisienne que le retour à l’autoritarisme n’est pas le seul à menacer.
Seif Soudani