Tunisie. Kais Saïed prône un « bonheur intérieur brut » (BIB)

 Tunisie. Kais Saïed prône un « bonheur intérieur brut » (BIB)

Parmi les caractéristiques propres aux régimes populistes, il en est une qu’affectionne tout particulièrement le président Saïed : l’invention ou le recyclage d’expressions et de néologismes censés marquer la durée de leur règne.

Il y a eu d’abord « l’explosion révolutionnaire sans précédent », une expression superlative à faire pâlir de jalousie les révolutions bolchévique et française. Une formule par laquelle l’actuel président tunisien désigne systématiquement la révolution dite du 17 décembre, date à laquelle il a là aussi décidé de « switcher » le jour de la célébration de la révolution du 14 janvier.

Il y a eu ensuite « les forces armées civiles », sorte d’oxymoron par lequel le président Saïed a rebaptisé les forces de police au moment où il s’était autoproclamé en avril dernier « chef suprême de toutes les forces armées », à la faveur d’une interprétation très libre de la Constitution.

Le discours présidentiel est parsemé d’autres récurrences sémantiques, telles que la notion coranique d’« al-farz » (le tri le jour du Jugement dernier) entre les vertueux et les traîtres qu’il s’agit d’« éradiquer » (« al-tathir »), autre terme martelé de plus en plus fréquemment, au mépris de sa connotation fascisante.

Dernière trouvaille en date, « le bonheur intérieur brut », en lieu et place du PIB. Les 22 et 23 décembre courant, Kais Saïed a ainsi utilisé cette référence au Bonheur national brut, un indice qui trouve ses origines dès 1972 dans le gouvernement du Bhoutan (Asie du sud), servant à mesurer le bonheur et le bien-être de la population du pays. Inscrit dans la constitution bhoutanaise promulguée le 18 juillet 2008, il se veut une définition du niveau de vie en des termes plus globaux que le produit national brut.

« La Tunisie n’a pas besoin d’un produit intérieur brut, mais plutôt que d’un bonheur intérieur brut », a-t-il déclamé en arabe littéraire lors d’un conseil des ministres, estimant que la Tunisie est « un Etat pauvre dans un pays riche ». La veille, il avait introduit cette notion lors d’une réunion plus restreinte, affirmant qu’il est « impératif de garantir une équité sur le plan fiscal et ce, en décrétant des impôts sur la fortune et en allégeant les charges des plus démunis ». « Il serait plus judicieux de garantir un bonheur national brut qui remplacerait un produit intérieur brut », concluait-il.

Ce mode de pensée qui confine à une fuite en avant ou à un cache-misère, à défaut de solutions structurelles à la crise économique sans précédent que traverse le pays, renvoie à une autre déclaration narquoise du chef de l’Etat qui s’était interrogé en octobre dernier « pourquoi tiennent-ils tant à nous classer ? », à propos des agences de notation financière. Une défiance qui avait alors poussé des économistes à lui demander de tempérer ces propos, sous peine de vivre en autarcie, au ban des économies de marché.

Sur la toile, des Tunisiens notent avec humour le contraste entre ce concept de « bonheur » d’une part et la morosité économique ambiante mais aussi l’acrimonie habituelle inhérente à la parole présidentielle d’autre part.

 

Les tentatives d’assassinat, ou la banalisation d’un marronnier

Par ailleurs le président de la République a indiqué dans la même allocution d’hier jeudi qu’il serait « au courant des plans d’assassinats politiques qui se trament » contre sa personne. Ce n’est pas la première fois que ce type d’allégations complotistes est ressassé lorsque Carthage se trouve politiquement en difficulté. Deux autres théories similaires de plan d’assassinat, l’une à la baguette de pain empoisonnée en 2020, l’autre au courrier piégé, avaient été émises par le Palais, n’aboutissant qu’à des enquêtes classées sans suites, faute de preuves.

Cette fois des internautes ont pu remonter la source de ce leitmotiv paranoïaque : il s’agirait d’une page Facebook non officielle se faisant passer pour une faction des services de renseignement algériens, une page spécialisée dans l’ellipse et la rumeur allusive. En l’occurrence, un statut repris au mot près par la présidence 24 heures plus tard, évoquant une date précise et « une conversation téléphonique ».

Circonspectes au départ à l’égard de la nature du coup de force constitutionnel du 25 juillet dernier, les médias mainstream occidentaux n’hésitent plus parler de « populisme aux accents messianiques » pour qualifier l’OVNI qu’est l’actuel régime tunisien, en pleine mutation vers ce qui s’apparente à une « démocradure ».

 

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