Intenses tractations en vue de former un gouvernement
Le temps presse pour qu’Ennahdha, parti arrivé en tête aux législatives, forme conformément à la Constitution, un gouvernement, une fois avoir proposé une personnalité pour le présider. Dans les coulisses du nouveau pouvoir, des spéculations commencent à circuler autour de certains noms et scénarios. Le point sur les deals les plus crédibles.
Depuis la révolution de 2011 et le retour au pays de ses chefs exilés, le parti islamiste a acquis au fil des ans la réputation d’une machiavélique machine à manœuvres politiques. Durant la troïka d’abord, en gouvernant avec deux partis séculiers tout en conservant l’ensemble des ministères régaliens. Temporisant par la suite après 2013 et le retrait momentané du pouvoir post assassinats politiques.
Puis tout au long du mandat 2014 – 2019, où à la faveur d’un consensus aux airs de cohabitation, le parti de Rached Ghannouchi a gouverné via son poids à l’Assemblée et un cantonnement à quelques ministères techniques et de services (Emploi et formation professionnelle, Technologies, etc.).
La phobie des avant-postes
Cette posture des seconds rôles faiseur de rois a permis à Ennahdha non seulement de limiter l’usure propre à tout exercice du pouvoir, mais aussi de décimer à son contact tout parti qui viendrait à s’allier aux islamistes (tour à tour le CPR, Ennahdha, Nidaa, et plus récemment Tahya Tounes). C’est pourquoi de très nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour requérir qu’Ennahdha assume enfin le pouvoir seul, d’autant que le parti a fait campagne en 2019 sous le signe de l’auto dédouanement, en rejetant la responsabilité du bilan du pouvoir sur ses partenaires.
Le temps est quoi qu’il en soit venu d’une séquence éminemment politique : près de 9 ans après la révolution, le sempiternel refrain de la nécessité d’un partage du pouvoir type « dialogue national », au nom de la stabilité, de la transition démocratique et de l’intérêt supérieur du pays, ne passe plus.
La patate chaude du pouvoir
Mais, problème, avec seulement 52 sièges au Parlement, Ennahdha doit impérativement nouer des alliances avec les partis disposant d’un nombre significatif de sièges, pour espérer totaliser 109 sièges, voire les environ ~125 sièges nécessaires pour pouvoir gouverner, sachant qu’un hiver social des plus chaud l’attend sous peu.
On pensait le parti Qalb Tounes de Nabil Karoui (encore aux prises avec la justice), 38 sièges, exclu des négociations par Ennahdha, au même titre que le PDL de Abir Moussi (17 sièges). Mais voilà qu’une sortie remarquée de l’homme d’affaires hier jeudi remet son parti dans la course, après qu’il ait ouvertement déclaré « Nous ne somme plus en guerre contre quiconque », suggérant par là qu’il est prêt à tous les arrangements.
Le fait que Karoui se soit refusé à déposer un recours en justice après la proclamation des résultats de la présidentielle, va également dans le sens d’une volonté d’apaisement.
Cette stratégie du camp Karoui correspond à l’objectif clair de remettre le nom de Fadhel Abdelkefi sur la table des négociations en vue de présider un gouvernement de type sauvetage / sortie de crise économique. Ami proche de Nabil Karoui, cet ancien ministre des Finances du gouvernement Chahed, pur produit des rouages de la bourse, avait activement fait campagne pour la libération du candidat malheureux lors du second tour de la présidentielle.
Cela représenterait le scénario le plus controversé pour le parti islamiste, mais le plus commode numériquement : totalisant 90 sièges à eux deux (52 + 38), il suffirait de glaner quelques sièges supplémentaires auprès des indépendants pour arriver à une majorité confortable.
Il faut dire que l’autre scénario controversé n’est pas des plus enviables pour Ennahdha : si le parti islamo-centriste accepte la main tendue de la Coalition dignité, liste se trouvant idéologiquement à son extrême droite, il ruinerait d’un coup son image de modération qu’il s’est donné la peine de construire des années durant. Sans compter que Tahya Tounes (14 sièges) et les nationalistes d’Echaâb (16 sièges) mettraient dans ce cas leur véto à toute participation à la majorité parlementaire.
Les éternels revenants
Au chapitre des noms récurrents d’indépendants premier-ministrables qui reviennent avec insistance à chaque round de négociations, notons ceux de Nouri Jouini, Mondher Zenaïdi, Hakim Ben Hammouda, Jelloul Ayed, et Khayem Turki. Tous ont en commun d’être des compétences économiques et administratives islamo-compatibles.
Reste qu’Ennahdha s’exposerait avec cette option extra partisane à un scénario à la Habib Essid (2015) : un homme sans assise politique, exécutant loyal mais d’autant plus faible et éjectable.
D’où la prévalence à ce jour du scénario d’un homme issu des rangs nahdhaouis : soit le BCBG Zied Ladhari, soit Rached Ghannouchi lui-même (camp des « colombes » pragmatiques), soit Abdellatif Mekki, soit Abdelkarim Harouni (camp des faucons).
Les conditions extrêmement exigeantes d’Attayar de Mohamed Abbou et des nationalistes arabes d’Echâab, réclamant tous deux de grands portefeuilles régaliens en dépit de leur nombre réduit de sièges, montrent enfin que ces partis ont conscience de la position de vulnérabilité dans laquelle se trouve Ennahdha.
Une position peu enviable, qui vient rappeler que le scénario de la convocation, à l’horizon début 2020, de nouvelles élections législatives, reste plus que jamais d’actualité.