Inspirés des Gilets jaunes français, les Gilets rouges divisent
Les Tunisiens ont massivement suivi l’accélération des évènements à Paris ce weekend en marge de la manifestation des Gilets jaunes, qui a viré à l’émeute générale. Si bien que par effet d’émulation, l’idée de constituer un mouvement de « Gilets rouges » a rapidement germé. Une initiative viable ?
A l'effigie des "Gilets rouges", des illustrations circulent dans le web tunisien présentant des statistiques sur la pauvreté, le chômage, la dette, le cours du dinar face à l'euro, etc.
Ce ne serait pas la première fois que, depuis sa radicalisation, le phénomène Gilets jaunes s’exporte au-delà des frontières françaises. Samedi 1er décembre, alors que les Gilets jaunes manifestent un peu partout en France, ils étaient déjà quelques centaines à défiler dans les rues de La Haye et de Maastricht, aux Pays-Bas, quelques jours après les Gilets jaunes belges à Bruxelles où une manifestation a aussi dégénéré en violences, ainsi que les Gilets jaunes de Bulgarie, pays le plus pauvre de l’Union européenne.
Ce ne serait pas non plus une première en Afrique, où des citoyens du Burkina Fasso se révoltaient 29 novembre contre la hausse de 12 % du prix de l’essence.
Très commentés par les médias nationaux tunisiens, les violences du samedi 1er décembre sur les Champs-Elysées ont également alimenté ces dernières 48 heures les réseaux sociaux tunisiens, fascinés notamment par la similitude de certaines images et slogans insurrectionnels avec les évènements de la révolution tunisienne d’il y a 7 ans, toutes proportions gardées, d’autant que les Tunisiens ont depuis vécu, régulièrement, d’autres épisodes de révolte populaire émaillés de violences, tous les 2 à 3 ans en moyenne.
Controverse autour des limites de l’émulation
De là semble avoir donc essaimé l’idée de « Gilets rouges », aux couleurs du drapeau tunisien, de la même façon qu'en France où la genèse du mouvement c’était faite d’abord dans les réseaux sociaux. Si la page éponyme ne compte à l’heure où nous écrivons ces lignes que quelques 1500 abonnés, les hashtags #GiletsRougesTN et #LaTunisieEnColère font déjà l’objet de diverses polémiques sur la toile.
« Non ! Chaque révolte doit prendre naissance dans l’environnement qui lui est propre. Les révolutions, cela ne s’importe pas. La France ne saurait nous servir d’exemple. A chaque pays sa spécificité… », écrit en revanche le sismologue Hedi Ali. Un avis souverainiste qui constitue la réserve la plus récurrente à propos de l’ersatz tunisien des Gilets jaunes.
Un badge pour photo de profil sur Facebook a par ailleurs fait son apparition et compte déjà de nombreux d’adeptes cherchant à « viraliser » le symbole en surfant sur l’élan
Si d’aucuns spéculent déjà que l’extrême gauche, via le populaire Youtubeur tunisien Jalel Brik qui a documenté en vidéo les évènements de violence à Paris samedi, est derrière le « buzz » des Gilets rouges appliqué à Tunis, d’autres pensent qu’il s’agit plutôt d’un projet de récupération émanant du clan de Nidaa Tounes hostile au gouvernement de Youssef Chahed et soucieux de le déstabiliser lui et ses nouveaux alliés d’Ennahdha. C’est en tout cas ce que semble penser la députée Bochra Bel Haj Hmida, qui affirme « je mettrai un gilet dans ce cas moi aussi » en réponse au gilet rouge arboré, peut-être par coïncidence par l’homme politique Nidaa Tounes Khaled Chouket.
Destinées croisées
Quoi qu’il en soit, nul besoin de filiation politique précise pour qu’une contamination de l’autre côté de la méditerranée ait lieu : ce ne sont en effet pas les similarités qui manquent entre les contextes socio-politiques tunisien et français actuels.
Arrivé au pouvoir, tout comme Emmanuel Macron, à l’âge de 40 ans, le chef du gouvernement tunisien Youssef Chahed est le numéro 1 de l’exécutif dans le régime mixte instauré par la Constitution de 2014.
Comme Macron, il applique avec détermination un agenda libéral perçu comme dévastateur pour la classe moyenne qui souffre de plus en plus de la vie chère, y compris au rythme des hausses du prix du carburant. Comme Macron, sa communication souffre d’une image relativement élitiste. Et tout comme la France qui perd de sa souveraineté au profit de l’Union européenne, la Tunisie se trouve ces dernières années sous le joug de contraintes édictées par le FMI, son principal bailleur de fonds.
Autant de facteurs qui aident spontanément à la globalisation de la contestation des peuples et des nations face aux Etats et aux organisations supra étatiques. Reste que pour se donner une réelle visibilité dans la rue, l'une des clés du succès de leurs homologues français, encore faudrait-il fournir des gilets en quantité suffisante, un problème étranger aux pays riches.
Seif Soudani
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