Grogne sociale : Youssef Chahed critique le « rôle joué par les partis d’opposition »
A quelques semaines d’intervalle de sa dernière sortie médiatique faisant suite à la démission du ministre Abid Briki, le chef du gouvernement se prêtait une nouvelle fois hier soir dimanche à l’exercice du grand oral devant les journalistes de trois grands médias nationaux, donnant l’impression qu’il n’apparaît devant les Tunisiens que sous la contrainte, pratiquant constamment une communication de crise. Principal axe de cet entretien, la grogne sociale dans le sud et d’autres régions intérieures du pays, ainsi que le hiatus entre le message de réformiste de la Kasbah et la persistance de la contestation.
Entrant directement dans le vif du sujet, les journalistes d’al-Wataniya 1, Elhiwar Ettounsi et Mosaïque Fm évoquent d’emblée, comme pour l’évacuer, le sujet brûlant des protestations sociales qui prennent une ampleur inédite depuis plus d’une semaine :
« Pour me déplacer à Tataouine, je dois être muni de projets réalisables. Quant aux mesures que nous avons annoncé à l’issu du conseil ministériel consacré à cette région, elles sont réalistes, c’est la mise en application d’accords déjà conclus. Il faut dire que les anciens gouvernements ont fait des promesses irréalisables. Il faut arrêter ces anciennes pratiques, et dire la vérité aux Tunisiens », a-t-il martelé, se targuant du fait de ne pas avoir fait de promesses irréalisables.
Le chef du gouvernement commentait dans un deuxième temps la virulence de l’opposition en ce moment sur les plateaux et à l’Assemblée : « La machine de l’économie doit redémarrer, en augmentant le taux de croissance : s’il n’y a pas de croissance, il n’y a pas d’emploi. Cependant, le discours politique en Tunisie est désespérant, je constate que nous affectionnons l’auto-flagellation, le discours actuel est politicien et loin des préoccupations des citoyens ».
Procès en patriotisme
A mesure que ses trois interlocuteurs le pressent pour dénoncer nommément ses critiques, Youssef Chahed renchérit : "S’opposer au gouvernement ne me dérange pas, s’opposer à l’Etat c’est grave. A présent il faut que les gens comprennent que la situation est difficile. La machine économique a été paralysée durant des années. Il y a des prémisses pour une sortie de la crise, mais, il faut beaucoup d’efforts, mais nous sommes systématiquement sabotés par certains. J’invite les partis à jouer leur rôle plus responsable d’encadrement social ».
En somme, la cible des partis d’opposition ne serait pas le gouvernement Chahed mais l'Etat… En rhétorique, cela pourrait s'appeler « the patriotism card », le chantage au patriotisme, un grand classique, imparable dans l’esprit de ses utilisateurs. Ben Ali avait aussi tenté ce confusionnisme entre son pouvoir et l'Etat. C'est une règle en communication politique : le prestige de l'Etat est le plus souvent une métaphore narcissique que l'on pourrait traduire par « je suis l'incarnation de l'Etat, et l'Etat est une ligne rouge ».
Défendant « sa » loi d’urgence économique, Chahed s’est par ailleurs félicité de la venue d’une délégation du FMI, programmée pour aujourd’hui lundi, « contre les mauvaises langues qui prédisaient que les canaux de négociation avec le FMI étaient coupés ».
C’est probablement sur le volet de la lutte contre la corruption que Chahed a le moins convaincu, bottant en touche : « C’est toujours notre priorité, cependant, le sort des corrompus est du ressort de la justice. Toutefois, il faut dire qu’il y a une grande lenteur au niveau du processus judiciaire. Pour ce faire, il faut consolider les textes de lois et donner les moyens aux magistrats pour qu’ils puissent accomplir au mieux leurs missions ».
Mais ultime contradiction Youssef Chahed a en revanche assuré qu’il soutient le projet de loi dit de réconciliation économique, estimant que cette loi « permettra de libérer plusieurs compétences », allusion notamment aux hauts fonctionnaires qui seront simplement amnistiés à la faveur de cette mesure présidentielle.
« Comptez-vous démissionner ? »
C’est en somme l’unique question irrévérencieuse des journalistes de la soirée. « Je ne compte pas baisser les bras à la première déconvenue », s’est contenté d’y répondre Youssef Chahed.
Aussitôt l’entretien achevé, le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) Néji Bghouri réagissait sur les réseaux sociaux pour fustiger, indigné, la « médiocrité » de l’entretien, accusant de complaisance excessive les deux journalistes des chaînes privées Mosaïque FM et Elhiwar, respectivement Boubaker Akacha et Mariem Belkadhi, ajoutant qu’il eût été plus judicieux que l’entretien soit conduit par des journalistes des régions concernées par la contestation.
En Tunisie, six années post révolution n’ont en effet manifestement pas suffi à l’auto réforme de certains médias.
Seif Soudani