Tunisie. Grève générale réussie : l’UGTT réaffirme son pouvoir

 Tunisie. Grève générale réussie : l’UGTT réaffirme son pouvoir

« Aux quatre coins du pays, votre grève est réussie à 96,22 % ! », a harangué les foules syndicalistes jeudi le numéro 1 de la centrale syndicale, l’Union générale des travailleurs tunisiens.

 

A Sfax, l’un des viviers du syndicalisme, les responsables de l’UGTT ont nargué ceux qui ont tenté de faire échouer la grève générale

 

« Nous ne prononcerons sur l’honnêteté du gouvernement Bouden qu’uniquement sur la base de chiffres, ceux en l’occurrence de l’Institut national de la statistique. Aujourd’hui, vous avez une inflation de quasiment 8 %. Or, vous avez promis que vous alliez réaliser une croissance de 2,4 %. Nous vous demandons 10 % ! », a martelé Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT.

Au cœur des doléances non honorées ayant résulté en l’escalade ultime de la grève générale, le retrait de la circulaire numéro 20, datant de décembre 2021, et interdisant à tout ministre ou partie gouvernementale les négociations avec les syndicats « sans une autorisation préalable du secrétariat général du gouvernement ». Un texte qui représente une infraction à la Constitution et au droit international, et balise la voie aux conflits, estime Sami Tahri, porte-parole de l’UGTT.

 

Réassoir la toute puissance syndicale

Mais au-delà de cette requête, le timing éminemment politique de la grève générale réussie du 16 juin relègue toute autre considération d’ordre technique ou social au second plan. Au moment où la Tunisie régresse à vitesse grand V vers le pouvoir sans partage d’un seul homme maître à bord, en la personne du président Kais Saïed, remobiliser des troupes disciplinées pour montrer que l’on peut tout autant paralyser à son gré le pays, et donc le gouverner via l’arme de la contrainte syndicale, est en soi une démonstration de puissance qui vise à rééquilibrer les forces en présence.

Ce test grandeur nature est aussi, de facto, un défi personnel que s’était fixé Noureddine Tabboubi, dont le leadership est menacé depuis son refus le 31 mai dernier de prendre part au dialogue national au Palais de Carthage, un dialogue qualifié d’« ornemental ». Au lendemain de l’assemblée générale élective ayant permis le renouvellement de son mandat à la tête de l’UGTT, un camp dissident avait en effet contesté en interne la légalité de la tenue de cette assemblée, et poursuivi en justice l’actuel bureau exécutif. La première audience du procès ayant lieu en septembre prochain, certains canaux certes non officiels font état de pressions du pouvoir pour infléchir l’issue de ce dossier.

« Je me félicite du fait que la grève générale d’hier ait pesé davantage que les protestations de tous les partis d’opposition réunis… Et le pouvoir de Saïed le sait », nous confie aujourd’hui un gréviste aux abords de l’aéroport de Carthage qui reprend progressivement son activité, dans un secteur des Transports particulièrement impacté par la grève.

Co-Nobélisé en 2015 précisément pour son rôle dans le dialogue national qui avait réuni à l’époque l’ensemble des protagonistes politiques tunisiens et ceux de la société civile, l’UGTT ne pouvait pas sans se dédire accepter de devenir, sept ans plus tard, l’un des instruments de la normalisation de l’autocratie. Mais un renouvellement de la grève générale à l’avenir serait une arme à double tranchant : outre le fait de s’exposer à un procès en patriotisme, contribuer à l’enlisement du pays dans le marasme économique pourrait ainsi profiter au pouvoir Saïdien en l’aidant à se dédouaner de sa part de responsabilité dans la crise.