Gouvernement Essid « 3.0 », un remaniement pas au goût de tous
Rarement remaniement n’a été autant synonyme de désaveu. C’est la deuxième fois en une année que Habib Essid est contraint de changer son équipe gouvernementale. La première n’avait duré que quelques jours. Cette fois, l’homme a été contraint de remplacer pas moins de trois ministres disposant de portefeuilles régaliens. De quelle légitimité dispose-t-il réellement encore ? Et qui sont les gagnants et les perdants des nouveaux quotas ?
Plus qu’un simple remaniement, il s’agit aussi d’une vaste restructuration : alors que la suppression de la totalité des 14 secrétaires d'Etat se fait au nom de l’austérité et du rattachement de plusieurs postes à la Kasbah, quatre nouveaux ministères ont été créés ou « détachés » : les Affaires locales, l’Energie et mines, un ministère de la Fonction publique bonne gouvernance et lutte contre la corruption, et un poste de ministre porte-parole du gouvernement.
C’est le déjà contesté Khaled Chouket qui hérite de ce dernier poste, lui qui avait fait la tournée type « mercato » de quatre partis politiques dont le parti populiste al Aridha, avant d’atterrir à Nidaa Tounes.
Le nouveau gouvernement est tout de même constitué de 30 ministres, en plus du chef du gouvernement. Premier constat, le « quota » Nidaa Tounes est renforcé, dans son aile sebsiste qui assoit son pouvoir aux dépens du camp rival de Mohsen Marzouk, avec 11 ministres considérés comme proches des Caïd Essebsi père et fils.
En deuxième position en termes de représentativité, une petite surprise, ce n’est pas Ennahdha mais l’UPL qui avec 4 ministres consolide sa présence, malgré son image de jeune parti-entreprise, vitrine politique de l’homme d’affaires Slim Riahi. Nommé à la tête du ministère du Commerce, le plus controversé des ministres UPL est sans doute Mohsen Hassen, qui n’avait pas pu s’installer au ministère du Tourisme sous premier gouvernement Essid, face à la levée de boucliers générale de nombreux professionnels qui n’ont toujours pas oublié ses démêlés avec le secteur.
Viennent ensuite les néolibéraux d’Afek Tounes, avec trois ministres. S’il conserve son ministère du Développement et de la Coopération internationale, Yassine Brahim se voit dans l’obligation de renoncer au très polémique contrat avec la banque d’affaires Lazard, qui devait être mandatée notamment pour concevoir un plan de développement quinquennal.
Grand perdant, peut-être en apparence seulement, du remaniement, Ennahdha ne conserve que 2 ministres, dont le discret Nejmeddine Hamrouni nommé conseiller de Habib Essid, et Zied Ladhari à l’Emploi et la Formation professionnelle. Un paradoxe politique et institutionnel, étant donnée sa position de bloc majoritaire au Parlement, avec 69 députés.
Le quartet gouvernemental dispose donc au total de 20 ministres. Quid des 10 restants ? C’est là que réside probablement la donnée clé de cette configuration nouvelle : pour de nombreux observateurs, il s’agit d’indépendants proches de Habib Essid, lui-même homme de la jonction Ennahdha – Nidaa…
Les spéculations vont en effet bon train autour du nouveau ministre de la Justice, Omar Mansour, jusqu’ici gouverneur de l’Ariana, et ancien doyen des juges d’instruction, en remplacement du premier ministre de la Justice non affilié à Ennahdha depuis la révolution, Mohamed Salah Ben Aissa, dont le poste était resté vacant depuis de longs mois après sa démission.
Idem pour le jeune énarque Hédi Majdoub à l’Intérieur, méconnu du grand public, chef de cabinet du ministre de l’Intérieur dès 2011.
Exit enfin Taieb Baccouche, considéré par ses pairs comme calamiteux aux Affaires étrangères, au profit de l’homme du sérail Khemais Jhinaoui. Mais ce dernier suscite aussitôt une vague d’indignation pour avoir occupé un poste de diplomate à Tel Aviv sous Ben Ali en 1996.
Autre élément controversé, le nouveau ministre des Affaires sociales, Mahmoud Ben Romdhane. Il remplace l’ex syndicaliste Ammar Yanbaï, considéré trop proche de l’UGTT. Ben Romdhane est en effet l’auteur d’une déclaration qui avait fait couler beaucoup d’encre sur « le voile islamique qui diminuerait de 30% les capacités d’audition » de celles qui le portent, alors qu’il était ministre des Transports.
Enfin, nommée ministre de la Culture, Sonia Mbarek faisait partie de la « liste des 65 » premiers noms à avoir plébiscité l’ex dictateur Ben Ali pour se présenter à un nouveau mandat présidentiel de 2014 à 2019…
L’UGTT a déjà fait savoir son mécontentement via un communiqué qui dénonce un remaniement vertical, « effectué au mépris des traditions de consultations et de consensus » instaurées depuis le dialogue national.
S.S