Gouvernement d’union ou le fléau de la dépolitisation

 Gouvernement d’union ou le fléau de la dépolitisation

Béji Caïd Essebsi recevant Habib Essid au salon d’honneur du Palais et non à son bureau


En Tunisie, la présidence de la République se « Bouteflikise » ironisent certains, au moment où les spéculations se multiplient autour de l’absence du chef de l’Etat depuis quelques jours, lui qui n’a pas présenté ses vœux au peuple tunisien à l’occasion de la fête de l’Aïd. Une entrave à la tradition jamais vue dans l’histoire récente du pays, au moment où les pourparlers autour de la formation d’un gouvernement d’union nationale s’apprêtent à marquer à nouveau la semaine politique.




 


Aujourd’hui la communication du Palais avait visiblement à cœur de mettre en avant l’activité présidentielle du jour. Après une semaine de mystérieuse apathie, Béji Caïd Essebsi a rencontré lundi le chef du gouvernement sortant, l’ancien doyen du barreau, ainsi qu’une délégation patronale de l’UTICA.  


Mais le mal est fait : une campagne virale « #Winou Béji ? » (« Où est Béji ? ») a été lancée ce weekend sur les facétieux réseaux sociaux, rapidement relayée par l’humoriste Lotfi Abdelli, déjà auteur en 2011 de l’un des tous premiers « Ben Ali dégage ! ».      


Dans un pays où l’observance de la prière de l’Aïd el-Fitr est en hausse (ici Bizerte), autant dire que l’absence inexpliquée du président n’est pas passée inaperçue, surtout qu’il n’a pas daigné s’adresser au peuple via l’habituelle allocution.  


Alors que certains médias fantaisistes ont conclu à un plan terroriste apocalyptique visant simultanément le président Essebsi et le sud du pays le jour de l’Aïd, d’autres ont guetté le moindre signe de vie, faisant même de son dîner en famille à Hammamet une brève d’info samedi. Ce sont sans doute là les premières manifestations des aléas de l’élection d’un bientôt nonagénaire au sommet de l’Etat.


Cependant des éléments de réponse à propos de ce passage à vide se trouvaient probablement du côté du protocole, en ce lundi où le président Essebsi a reçu Habib Essid (également absent lors de la prière de l’Aïd) non pas à son bureau de travail, mais au salon de réception des invités, tel un visiteur lambda… Ce qui pourrait signifier en soi que le président ne considèrerait plus Essid comme chef de l’exécutif, et que son remplacement n’est qu’une question de temps.


 


La dépolitisation, une tentation chronique depuis 2011


Mais quel tort Essid a-t-il commis pour tomber ainsi en disgrâce, pourraient se demander les observateurs non avisés de scène politique tunisienne. Pas grand-chose serait-on tenté de répondre, si ce n’est le très ingrat statut de virtuel « Premier ministre » bouc-émissaire post élections de 2014, lui qui n’a jamais été réellement chef du gouvernement.


Car pour comprendre les motivations réelles à ce chambardement gouvernemental, il faut revenir au premier gouvernement post-révolution, où Ennahdha avait préféré gouverner avec une coalition large, englobant deux partis de centre-gauche. Si à l’époque cela pouvait se concevoir, étant donné le climat fébrile et la primauté de la grille « forces révolutionnaires » VS « ancien régime », ce même réflexe privilégiant le « gouvernons tous ensemble » est en 2016 beaucoup plus discutable.


Il témoigne en réalité d’une forme de paralysie à mettre le pied à l’étrier du véritable jeu démocratique, en gouvernant clairement selon un agenda politique basé sur un programme et un mandat complet.


Dès que les forces autoproclamées « démocrates progressistes » ont en effet pris acte de l’alliance Nidaa – Ennahdha et de l’hégémonie de ce dernier lors de son 10ème congrès, certains de leurs représentants ont usé de toutes sortes de lobbies pour demander « l’ouverture », en clair le partage de pouvoir. Il s’agit d’empêcher un règne sans partage d’Ennahdha, raisonnent-ils, pour un cycle de plus de 10 ans.


Reste que l’attachement désormais du même Ennahdha au maintien d’Essid complique sérieusement la donne. A vouloir contenter tous les acteurs de la scène politique, Carthage s’est décidément mis dans une impasse.


 


S.S