Tunisie / G7. Etat d’exception : la pression internationale s’intensifie
Un mois et demi après le coup de force présidentiel du 25 juillet, la pression ne baisse pas à l’international envers Kais Saïed en vue de mettre fin aux mesures exceptionnelles de suspension de la vie démocratique. A deux jours d’intervalle, le Sénat américain et les ambassadeurs du G7 ont ainsi formulé de nouvelles requêtes de « retour à la légitimité constitutionnelle ».
Une délégation présidée par les sénateurs américains Chris Murphy et Jon Ossoff a rencontré le 4 septembre pendant près de 2 heures des représentants de la société civile et des députés tunisiens de facto suspendus, dont Hatem Mliki (indépendant ex Qalb Tounes), Saida Ounissi (Ennahdha), Marouan Felfel (Tahya Tounes) et Samira Chaouachi, vice-présidente du Parlement.
« Ce fut l’occasion d’évaluer les enjeux nés des décisions présidentielles », a indiqué Mliki, député considéré comme favorable au gel de l’Assemblée. « La Tunisie a vécu pendant une décennie une démocratie de façade, corrompue où tous les indicateurs pointaient vers une détérioration des conditions économiques et sociales », soutient l’ex député Qalb Tounes, parti dont le leader est depuis peu détenu en Algérie où il a tenté de fuir.
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Mliki a cependant estimé qu’il est nécessaire de mettre en place une feuille de route claire pour rétablir les institutions de l’État et « organiser des élections dans les plus brefs délais ».
Ayant visiblement à cœur de démentir toute accusation d’ingérence, les sénateurs américains ont de leur côté souligné que leur visite « ne vise en aucun cas à favoriser une partie au détriment d’une autre ». Car dans les réseaux sociaux mais aussi chez les mouvements national-populistes, le raccourci est fréquent s’agissant de la realpolitik US et le fait que le modèle sociétal communautariste anglosaxon ne soit pas opposé à l’islam politique modéré, d’où le soupçon de soutien tacite aux formations de ce type. Or, en tant que parti jouissant de la plus grande représentation au Parlement tunisien, Ennahdha est perçu de fait comme le plus grand perdant d’une future dissolution de l’Assemblée.
Cela explique sans doute aussi la teneur des tweets de Chris Murphy à l’issue de sa rencontre samedi avec le président de la République Kais Saïed : « les États-Unis ont pour seul but de protéger et de promouvoir une démocratie et une économie saines pour les Tunisiens », déclare-t-il. Mais il tweet dans le même temps, sur un ton plus ferme, qu’il incite à un « retour au processus démocratique ainsi qu’à un abandon rapide de l’état d’urgence ».
Le sénateur démocrate du Connecticut estime par ailleurs que « tout projet de réforme incombe uniquement au peuple tunisien », affirmant que les États-Unis « continueront à soutenir une démocratie tunisienne qui répond aux aspirations du peuple tunisien et protège les libertés civiles et les droits de l’homme ». Fin août, l’ONG Amnesty international avait appelé le président tunisien à la levée de l’interdiction de voyager qui limite récemment la liberté de circulation de milliers de Tunisiens (politiciens, hommes d’entreprise, etc.).
Parti nationaliste idéologiquement proche du président Saïed, Echaâb a annoncé avoir décliné l’invitation des sénateurs US, estimant que l’initiative « constitue une ingérence dans les affaires internes du pays et une atteinte à la souveraineté nationale ».
Le président Kais Saïed avait déjà reçu le 13 août dernier une délégation officielle américaine conduite par l’adjoint du conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Jonathan Finer, qui était porteur d’un message écrit du président américain Joe Biden au président de la République.
Siégeant dans la Commission chargée des Affaires étrangères et du contre-terrorisme au Sénat américain, Chris Murphy s’était fendu dès le 24 août dernier d’un communiqué très préoccupé par la prolongation de l’état d’exception en Tunisie.
Déclaration des ambassadeurs du G7
Signe de la préoccupation croissante des grandes chancelleries, les ambassadeurs des pays membres du G7 à Tunis ont formulé une déclaration commune, fait rare en soi, à propos de la situation tunisienne.
« Nous recommandons fortement le retour rapide à un cadre constitutionnel dans lequel un Parlement élu joue un rôle significatif. Nous soulignons le besoin urgent de nommer un nouveau Chef du Gouvernement, pour former un Gouvernement apte à faire face aux crises économique et sanitaire auxquelles le pays est confronté, et de créer un espace inclusif de dialogue sur les réformes constitutionnelles et électorales proposées », peut-on notamment y lire dans un communiqué aussitôt repris par les ambassades française et britannique, et qui oscille entre la mise en garde et la déclaration d’intention encore bienveillante à ce stade.
En attendant l’arlésienne des annonces de Carthage quant au devenir des institutions du pays, le président Saïed multiplie les signes en faveur d’un retour à un rôle plus important des forces armées dans la gestion du pays. Hier lundi il s’est notamment déplacé au QG de la Garde nationale pour y inaugurer de coûteuses installations dernier cri destinées à la surveillance sécuritaire du pays.