France, Etats-Unis: Rencontre avec les représentantes tunisiennes du gaming

 France, Etats-Unis: Rencontre avec les représentantes tunisiennes du gaming

Nourchen Halouani et Oumayma Ben Touati. Propos recueillis par Seif Soudani

Le gaming continue de gagner du terrain en région MENA, notamment auprès des jeunes femmes. Nous avons interrogé deux des figures de proue féminines tunisiennes du gaming compétitif. Interview.

 

Nourchen Halouani

 

 

– Le Courrier de l’Atlas : Parlez-nous de votre parcours personnel et de ce qui vous a amené à vous expatrier hors de Tunisie.

 

– Nourchen Halouani : J’ai 23 ans, je suis originaire de Tunisie, plus précisément de Sfax. Je suis diplômée en scénographie. Je suis partie m’installer aux Etats-Unis, en Californie, en juin 2019, pour y poursuivre mes études. Mon cursus universitaire de prédilection n’existant pas vraiment dans nos universités locales, j’avais entrepris de m’enquérir à propos des études à l’étranger, mais pour être honnête, j’aurais préféré rester en Tunisie : rien ne vaut sa terre natale.

 

– Oumayma Ben Touati : J’ai bientôt 19 ans. Mes origines sont tuniso-algériennes. Ma mère est à moitié tunisienne du côté maternel, et je suis née à Tunis. J’ai grandi à Ghardimaou de 5 à 14 ans, puis j’ai dû déménager à Jendouba pour y poursuivre mes études au Lycée pilote une année avant de partir pour la France pour y finir mes études secondaires. Je suis actuellement inscrite en 1ère année de License Mathématiques et Informatique international à l’Université de Grenoble-Alpes.

 

 

 

– LCDA : Comment la passion du gaming vous a-t-elle été transmise ?

 

– Nourchen Halouani : C’est mon frère aîné qui m’a convertie au monde du gaming. Il est de 6 ans mon aîné, je me souviens qu’il tentait souvent de m’initier aux jeux vidéo PC, jusqu’à ce qu’il y ait réussi ! Aujourd’hui je suis plus passionnée qu’il ne l’est lui-même. Là où il s’est contenté de jouer uniquement en solo, j’ai commencé à organiser des tournois, à coacher des équipes, à faire du streaming live, animer divers des évènements gaming, etc.

 

– Oumayma Ben Touati : Si l’on omet les heures de jeux flash en ligne, je dirais que je me suis mise au gaming entre l’âge de 8 à 10 ans, lorsque ma sœur aînée s’est offert une Playstation 2. Puis je m’y suis mise plus sérieusement lorsque ma mère nous a acheté mon frère cadet et moi une Xbox 360, quelques années plus tard. Mes premiers jeux respectivement sur PS2 et Xbox 360 furent Tony Hawk’s Skateboarding et Surf’s up. Puis j’ai commencé à économiser pour pouvoir m’acheter ça et là des jeux d’occasion. Au total je me suis essayée à plusieurs centaines de jeux toutes plateformes confondues.

 

 

 

 

Oumayma Ben Touati

 

 

 

– LCDA : Combien d’heures par jour consacrez-vous au gaming ? A quels jeux jouez-vous le plus généralement, solo et online inclus ?

 

– Nourchen Halouani : Mes jours de repos, je suis capable de jouer jusqu’à 14 heures durant, sans même m’en apercevoir. En revanche, quand j’ai des journées chargées, j’arrive à résister à l’envie d’utiliser le PC, à la rigueur une heure de jeu peut faire l’affaire.

 

La plupart du temps je suis sur Pubg dont j’administre le groupe Pubg Tunisia sur les réseaux sociaux, League of legends, GTA V, etc.

 

– Oumayma Ben Touati : Cela dépend, je peux passer des semaines entières sans jouer, tout comme il m’arrive de passer des jours entiers de marathons de gaming non-stop. Mon plus long ce fut durant l’été 2013 où j’ai passé 30 heures d’affilée sur Final Fantasy X, avant qu’une coupure d’électricité m’empêche de finir le jeu à la dernière minute, ce qui m’a traumatisée !

 

Le jeu en ligne compétitif auquel je joue le plus est sans aucun doute League of legends, quant aux jeux solo, probablement Resident Evil 4 et Prince of Persia auxquels je rejoue régulièrement quand je suis d’humeur nostalgique. Par ailleurs j’administre le groupe « Arabian Youtuber Gamers » sur les réseaux sociaux.

 

 

 

 

 

 

– LCDA :  On parle souvent de « hobby de luxe », tandis que d’autres considèrent qu’on peut jouer à moindre frais aujourd’hui. En termes de budget, faut-il être fortuné pour avoir accès au jeu vidéo ?

 

– Nourchen Halouani : Pour ce qui est des FPS (« first person shooters », jeux de tir à la première personne, ndlr), il est vrai que disposer d’une configuration PC performante et d’une bonne connexion internet est obligatoire, non seulement pour avoir une qualité graphique convenable, mais aussi pour avoir un avantage compétitif « in game ». Cependant, avoir une bonne config’ ne signifie pas nécessairement que vous êtes un joueur professionnel. Certains joueurs s’en sortent beaucoup mieux avec des équipements moindres, par conséquent nul besoin d’être fortuné pour devenir un joueur pro.

 

– Oumayma Ben Touati : En tant que joueuse complètement fauchée, je confirme que le gaming en tant que hobby peut être pratiqué moyennant un budget à minima. Néanmoins, les choses ne sont pas si simples : c’est pourquoi j’insiste sur l’aspect « hobby » ou passe-temps. Dans ce cas précis on peut tout à fait avoir accès au jeu sur une console d’ancienne génération ou une configuration PC d’entrée de gamme. Cet accès est par ailleurs d’autant plus facilité sur PC où le piratage des jeux est de plus en plus répandu, ce qui constitue un argument en faveur de la supériorité du PC comme plateforme de jeu.

 

Mais dans le cas où le gaming est pris plus au sérieux, alors on peut effectivement parler d’un luxe pour privilégiés difficile d’accès : les consoles sont onéreuses, tout comme les jeux récents et les ordinateurs dédiés au jeu qui sont extrêmement chers.

 

 

 

 

 

 

– LCDA : Aux derniers grands forums mondiaux du gaming, à l’image de l’E3 2018 et 2019, le mouvement #MeToo s’est invité sur place. Certains ont évoqué la nécessité d’une sensibilisation aux problématiques de discrimination à l’encontre des joueuses et de représentation de personnages féminins, notamment dans les jeux vidéo dits « triple A » (grosses productions). Avez-vous vous-même constaté cela ou subi de telles discriminations durant votre parcours vidéoludique ? Pensez-vous que le gaming est encore un milieu essentiellement masculin ?

 

– Nourchen Halouani : Oui, j’ai en effet souvent été rejetée et on m’a déjà lancé « va me faire un sandwich ! » en cours de jeu à de nombreuses reprises par le passé, mais de nos jours, du moins depuis quelques années maintenant, je pense que la communauté des joueurs a commencé à accepter la nouvelle donne de l’omniprésence féminine au sein de la scène gaming amateure autant que compétitive. Moi-même j’ai coaché une équipe entière de joueurs hommes dans League of legends il y a 3 ans. J’en ai également managé une autre entièrement, participé à un tournoi aux côtés d’une équipe masculine… Même lorsque je stream (diffuse du contenu, ndlr) sur Twitch, je n’ai que rarement affaire à des agresseurs aujourd’hui.

 

– Oumayma Ben Touati : Ai-je été confrontée à du sexisme au cours de mon périple vidéoludique ? Parfois oui, notamment lorsqu’en pleine partie en ligne on se rend compte que je suis une femme, et que j’ai droit aux fameux « retourne donc à la cuisine ! » ou « oh, encore une fille en recherche d’attention ! », des commentaires que j’essaye d’éviter en jouant en offline (déconnectée) ou en dissimulant mon identité dans la mesure du possible, même si c’est difficile à faire lorsque vous avez besoin d’un microphone… Auquel cas je me résous à jouer avec des amis ou simplement d’autres filles issues de groupes féminins dédiés.

 

La situation s’est-elle améliorée aujourd’hui ? Non ! Je dirais que cela est dû à la culture des « memes » satiriques sexistes qui prévaut sur le net, et dont usent bien trop abondamment des gens immatures et des enfants gâtés sans la supervision de leurs parents, qui les laissent jouer à des jeux inappropriés pour leur âge (j’ai par exemple croisé un enfant de 6 ans à Call of duty). Plus généralement, la communauté des gamers se diversifie, ce qui peut constituer une bonne et une mauvaise chose à la fois.

 

 

 

 

– LCDA : Etes-vous optimistes pour l’avenir de la professionnalisation du gaming en Tunisie au moment où plusieurs grands clubs sportifs tunisiens rejoignent la fédération des sports électroniques ?

 

– Nourchen Halouani : J’ai fait partie d’équipes pro telles que Blacklist auparavant, mais maintenant que je vis aux USA, je ne pense pas que je suis la bienvenue, pour des raisons logistiques, dans une quelconque team, étant à l’étranger. Cela dit je suis très heureuse pour la tournure qu’a pris le gaming cette année en Tunisie, même si les choses restent perfectibles. Si ce n’était la distance, j’aurais beaucoup aimé pouvoir rejoindre une équipe e-sports nationale.

 

– Oumayma Ben Touati : Je suis une férue du gaming mais je n’ai pas encore le niveau pour être une pro à proprement parler. Pour en avoir discuté avec Maher Zarrai, surnommé « Kwenji », et Ali Gaaloul, deux joueurs aguerris et investis dans la scène tunisienne, je sais qu’ils sont tous deux très optimistes sur l’avenir du pro gaming et des e-sports en Tunisie. Maher a même fondé le mouvement « #TunGaming » jusqu’ici très fédérateur. Avec ces efforts et ceux des soldats silencieux en coulisses, je suis convaincue que notre passion est entre de bonnes mains. Le tournoi Orange (8000 dinars de gains, ndlr) et l’arrivée à la fédération de grands clubs sportifs en est la meilleure preuve.

 

 

 

– LCDA :  Certains reprochent aux plateformes de streaming comme Youtube et Twitch d’avoir créé une communauté alternative où les streamers recherchent une célébrité facile et l’appât du gain financier via les dons et les revenus publicitaires. Pensez-vous que ces diffuseurs de contenu servent malgré tout la popularisation du jeu vidéo ?

 

 – Nourchen Halouani :  Il y a en réalité deux types de streamers. Ceux qui suivent la mode des jeux les plus en vogue du moment, et ceux qui s’en tiennent aux jeux auxquels ils sont personnellement attachés. En fonction de votre audience, les deux façons de faire peuvent avoir du succès. Quoi qu’il en soit, il est indéniable que des titres comme Fortnite ont drainé énormément de followers et, de facto, des revenus conséquents pour les streamers.

 

– Oumayma Ben Touati : L’avantage avec les plateformes de streaming est la visibilité qu’elle peut procurer, qui que vous soyez. L’inconvénient, c’est aussi qu’elle en donne à n’importe qui. Cela permet de représenter la communauté, l’influencer, l’impacter, sans pour autant être tenu pour responsable de vos actes.

 

Lorsque j’ai évoqué le fait que la diversification de la communauté était une arme à double tranchant, je pensais en outre à certaines streameuses qui n’y sont que pour des raisons lucratives, et utilisent leurs corps comme moyen d’obtenir plus de vues, sans se soucier de l’image qu’elles peuvent donner des autres streameuses. Il ne s’agit aucunement de les juger, elles sont libres de leurs choix. Mais l’entrisme sur Twitch littéralement de stars du porno qui n’ont jamais joué à un jeu vidéo de leur vie, a de quoi susciter l’indignation, d’autant que cela conforte le cliché selon lequel « les femmes font semblant de jouer pour attirer l’attention », ce qui est parfaitement stupide. Le jeu c’est avant tout prendre du plaisir, s’évader, une manette à la main, et pas autre chose !

 

Autre exemple de streamers qui nuisent à l’image de la communauté dans son ensemble, ce sont enfin les streamers qui mettent en scène un comportement toxique et racoleur. On dit qu’il n’y a pas de mauvaise publicité, mais je reste sceptique.

 

 

 

 

Grand rendez-vous annuel des acteurs du secteur, incluant désormais de larges section dédiées au gaming, la 33ème édition du SIB 2019 aura lieu cette année au Centre des expositions de la Charguia (Tunis) du 24 au 29 décembre 2019. Photo Seif Soudani / LCDA