Tunisie / FMI : les dessous des discussions en cours

 Tunisie / FMI : les dessous des discussions en cours

Le Fonds monétaire international a indiqué avoir reçu une demande d’aide du gouvernement de Najla Bouden. Il s’agit du 4ème recours de la Tunisie au FMI en 10 ans. Des discussions techniques sont en cours afin de « définir les priorités économiques du pays », selon le FMI. Des négociations toutefois déjà compromises par des lacunes et des conflits en interne côté tunisien.

Mouvements sociaux des diplômés chômeurs, hausse record du taux de chômage, dette publique record… La Tunisie est confrontée à l’une des plus graves crises économiques de son histoire, au moment où l’’instabilité politique du pays freine les ardeurs des investisseurs et des bailleurs de fonds.

« Nous avons récemment reçu de la Tunisie, de la part des autorités, une demande pour un nouveau programme soutenu par le FMI […] Nous avons toujours été et nous continuerons à être un partenaire fort de la Tunisie », a confirmé Gerry Rice, le chargé de communication du FMI la semaine dernière au cours d’un point presse à Amman en Jordanie. Une déclaration politiquement correcte, les choses étant cette fois plus compliquées que les recours précédents du pays au FMI.

Pour boucler son budget à l’équilibre, la Tunisie espère obtenir avant la fin de l’année un prêt d’environ 4 milliards de dollars (3,3 milliards d’euros), tandis qu’à l’image de la loi de finances complémentaire de 2021, le président de la République Kais Saïed s’apprête à ratifier la Loi de finances 2022, par tranches trimestrielles, via décrets présidentiels.

En annonçant ce weekend avoir renoncé à la loi 2020-38 relative à l’engagement de l’Etat à recruter les diplômer chômeurs de longue durée dans la fonction publique, le président Saïed a probablement fait une première concession tacite aux requêtes en ce sens du FMI.

 

Absence de plan concret

Se faisant l’écho de propos tenus récemment par Jihad Azour, directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, Gerry Rice a précisé que les discussions techniques entre le FMI et les autorités tunisiennes avaient à ce stade pour but « d’examiner la possibilité de lancer un nouveau programme de financement au profit de la Tunisie ». En clair, il s’agit encore d’étapes préliminaires purement formelles. Et pour cause : à l’issue de près de 4 mois de suspension, qui correspond à la période depuis laquelle le président Saïed s’est accaparé tous les pouvoirs, l’absence de plan concret empêche manifestement le Fonds de travailler.

Cette « trêve » remonte même en réalité à mai 2021, lorsque le gouvernement Mechichi avait dépêché une délégation à Washington pour requérir, déjà à l’époque, des pourparlers dits « de la dernière chance ».

Comme échaudés par ces cafouillages, Gerry Rice n’a pas été cette fois en mesure de fournir un calendrier précis et une feuille de route claire comprenant traditionnellement une visite sur place des experts du Fonds.

Certains pointent du doigt le fait que l’absence d’un Parlement, l’état d’exception décrété sine die, ainsi qu’un gouvernement aux prérogatives réduites fraîchement investit ne sont pas pour rassurer les argentiers de Washington. Une croissance en berne depuis 10 ans, 0,6% par an en moyenne si l’on comptabilise les -9% de l’année précédente, une inflation galopante de 6% par an aggravée par la pandémie qui a privé le pays de ses recettes touristiques, achèvent un tableau peu reluisant. Mais ce n’est pas tout.

 

Des négociations émaillées par des dissentions gouvernementales

La reprise des négociations entre la Tunisie et le FMI a d’après nos sources d’ores et déjà provoqué la mise à l’écart de la secrétaire d’Etat en charge de la coopération internationale, Aïda Hamdi. C’est en effet le ministre de l’Economie, Samir Saïed, qui a hérité de cet épineux dossier.

Samir Saïed lors de la prestation de serment du gouvernement Bouden

Par un décret présidentiel publié le 17 novembre, Samir Saied, ancien PDG de Tunisie Télécom, a ainsi été nommé gouverneur des institutions financières internationales auxquelles la Tunisie prend part, exception faite pour le Fonds monétaire international (FMI) dont le siège est statutairement réservé au gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane Abassi.

Ainsi promu, Samir Saïed supplante au sein de l’équipe Bouden deux autres membres du gouvernement. Une multiplication des centres décisionnels qui entravait jusqu’ici une reprise effective des négociations avec le FMI. Car au départ, cette responsabilité était du ressort de la secrétaire d’Etat en charge de la coopération internationale, Aïda Hamdi, elle-même rapidement placée sous la tutelle du ministre des affaires étrangères Othman Jarandi à la mi-octobre.

Cependant, consécutivement à des critiques dont elle a fait l’objet en interne, transmises au Palais de Carthage, son déménagement fut acté du ministère des Affaires étrangères vers le siège du ministère de l’Investissement et de la Coopération internationale.

Depuis, l’intéressée attendrait de rejoindre les bureaux du siège du gouvernement à la Kasbah. Trimbalée de département en département, le rôle de la secrétaire d’Etat a été marginalisé au final dans les négociations financières internationales, à la faveur de Samir Saïed, désormais épaulé par Hamdi ainsi que la ministre des Finances Sihem Boughdiri Nemsia.

Signe qui ne trompe pas, Aïda Hamdi n’a pas été conviée à la réunion de reprise des négociations avec le FMI, le 4 novembre courant, où étaient présents les deux ministres. Côté FMI, le chef du bureau de Tunis, Jérôme Vacher, y avait pris part tout comme son économiste Chris Geiregat et Jihad Azour, directeur Moyen-Orient et Asie centrale du FMI. Après plusieurs mois d’absence, Vacher faisait un retour remarqué à Tunis, ce qui tend à signifier qu’à défaut de dynamique encourageante, le Fonds examine sérieusement la récente demande tunisienne.