Fête nationale de la Femme entre idéologie, nostalgie et récupération politique

 Fête nationale de la Femme entre idéologie, nostalgie et récupération politique

Béji Caïd Essebsi


Carthage – Béji Caïd Essebsi a présidé samedi 13 août 2016 une cérémonie au cours de laquelle il a décoré un certain nombre de femmes, à l’occasion de la Fête nationale de la Femme. Un quasi remake de la même journée une année plus tôt. Mais cette fois, rarement journée n’avait causé autant de polémiques. En cause, le choix récurrent de la présidence de la République à vouloir exclure toute une « catégorie » de femmes tunisiennes. 




 


Paradoxalement, c’est cependant l’ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates, Sana Ben Achour, qui ouvrit cette année le bal des boycotts de la réception présidentielle. Le 10 août, Ben Achour annonçait en effet avoir refusé d’être décorée de l’insigne de l’Ordre de la République par le président Essebsi. Pour justifier son refus, l’universitaire présidente de l’association « Beity » pour les femmes sans domicile évoque « le rapprochement d’Essebsi et de Nidaa Tounes avec Ennahdha, au mépris des promesses électorales ».


Dans un statut « liké » plus de 11 mille fois en moins de 24 heures, l’actrice tunisienne Sawsen Maalej justifie, selon une attitude similaire, le fait de décliner l’invitation notamment par le fait que le président de la République s’est allié « avec les ennemis de la femme ».


Pourtant, à y regarder de plus près, l’Ordre de la République a été décerné cette année encore à 90% à une catégorie spécifique de femmes, essentiellement l’establishment des militantes féministes modernistes, dont l’ex présidente de la FIDH Souhir Belhassen, l’auteur Sophie Bessis, la productrice de cinéma Dorra Bouchoucha, la chef d’entreprise Olfa Tarres, la journaliste Myriam Belkadhi, l’universitaire radicalement critique de l’islam politique Amel Grami, la réalisatrice de cinéma Leila Bouzid, fille de Nouri Bouzid, la syndicaliste Latifa Ammar, etc. 


Dans un souci d’apparence de diversité des classes sociales, la présidence n’a daigné décorer que Zina Kaâbi, diplômée en mathématiques et travaille en tant que bergère, seule concession à la Tunisie profonde…  


 


Une rupture consommée avec le référentiel islamique


Dans un statut Facebook, la députée Ennahdha Yamina Zoghlami écrit :


« Monsieur le président, vous avez aujourd’hui rendu hommage à la militante Maya Jribi en lui rendant visite chez elle, ce qui constitue un noble message adressé à l’ensemble des militantes. Mais pour la deuxième année consécutive, vous n’avez rendu hommage à aucune femme voilée symbole de militance et de fondation de la deuxième République, ces femmes convaincues du bien-fondé de la voie du dialogue et du consensus, ces intellectuelles, chercheuses, femmes de lettres… Cette femme qui a été privée de tout hommage en raison de son attachement à sa liberté vestimentaire du temps de l’ancien régime. Cette exclusion se perpétue jusqu’à ce jour. C’est pour cette raison que je n’ai pas assisté aujourd’hui à la cérémonie malgré vitre aimable invitation. Merci mais cette fête ne me représente pas. »  


Dans le même ordre d’idées, aujourd’hui dimanche 14 août, la plus jeune membre du Conseil de la choura, Emna Dridi, écrivait ceci :


« Hier je me suis rendue au Palais pour la première fois, pour y célébrer la Journée de la femme, en tant que femme politique tunisienne… J’y ai vu l’hommage sélectif du président durant la matinée. Durant l’après-midi, il a encore décoré deux autres femmes. Je n’ai aucun problème avec elles, longue vie à elles. Mais Monsieur le président hier ni moi ni les femmes tunisiennes ne se sont retrouvées dans cet hommage. L’une des femmes décorées est celle à qui Bourguiba enlevait la première le sefsari (habit traditionnel tunisien, ndlr). Je pense qu’une catégorie de tunisienne n’est toujours pas reconnue pour vous, d’après vos signes méprisants à l’égard du voile. Certaines ont payé le prix fort leur activisme pour le port du foulard : prison torture, droit à l’éducation et à la fonction publique… Elles attendaient cette année un geste de leur pays. Un geste qui n’est pas venu… ».


 


Tunis, Sousse et Hammamet, même combat


En ce jour du 13 août 2016, d’autres signaux sont venus consolider le retour à une logique éradicatrice, dans une société ou selon les régions, 40% à 60% des femmes tunisiennes portent le voile islamique.


Ainsi la ville de Sousse vivait hier samedi à son tour le retour de la statue équestre d’Habib Bourguiba, tandis que le Mouvement destourien, survivance de l’ex RCD, tenait son congrès constitutif à Tunis, dans l’enceinte même de l’ancien siège du parti unique à la Kasbah, et désignait à sa tête l’avocate du RCD Abir Moussi. Celle-ci a même poussé l’insolence mémorielle jusque déclarer : « Nous ne nous excuserons pas ! Nous allons nous unir et sauver le pays… ».  


A Sousse toujours, le transfuge de Nidaa Tounes Mohsen Marzouk s’entourait de femmes lors d’un meeting de son parti al-Machroû, conscient du fait qu’elles constitueront toujours le plus important réservoir de voix aux prochaines élections.    


Au même moment, au Festival de Hammamet, l’artiste bourguibiste Raja Farhat produisait une pièce théâtrale célébrant le 60ème anniversaire du Code du Statut Personnel, où à la faveur d’un traitement identitaire il faisait monter sur scène 60 femmes portant le sefsari.


Au terme de cette journée, deux enseignements essentiels peuvent être tirés : d’une part les prémices d’une rupture radicale avec le référentiel islamique confirment que l’alliance avec Ennahdha n’est que politicienne et superficielle, uniquement basée sur les intérêts provisoires de pouvoir et d’argent. D’autre part le paysage socio-politique tunisien est profondément statique : incapable de se renouveler et de tourner la page d’un passé douloureux. En choisissant l’oubli plutôt que la réconciliation, il reste sclérosé et est en passe de reproduire de mêmes élites et les mêmes erreurs historiques.


 


S.S