Fadhel Abdelkafi, histoire d’un naufrage politique

 Fadhel Abdelkafi, histoire d’un naufrage politique

Fadhel Abdelkefi


« Don Corleone », « grand banditisme en col blanc »… Boutades et formules fusent sur le web autour des désormais deux affaires Abdelkefi, contraint à la démission. Le fringuant quadra était pourtant promis à un bel avenir politique. Samedi l’opinion publique découvrait qu’en sus de l’affaire de crime de change jugée par contumace en 2014, le ministre démissionnaire avait également été jugé à de la prison ferme dans une affaire datant de 2005.


Novembre 2016, clôture de la conférence internationale de l’investissement Tunisia 2020, Fadhel Abdelkefi, est sur un nuage. A 46 ans, le magnat de la bourse est déjà au sommet de sa jeune carrière politique. Considéré comme numéro 2 du gouvernent Chahed, il est félicité par ce dernier pour son rôle dans « la réussite de la conférence », lui l’homme clé du dispositif mis en place de diplomatie économique, fort de son carnet d’adresse issu du privé.    


 


« Revolving door » et descente aux enfers


Mais c’est précisément cette collusion entre secteur privé et public, normalisée par le gouvernement Chahed au nom de la compétence, qui est aujourd’hui dénoncée par l’ONG I-Watch, au moment où l’on apprenait ce weekend via le journal Achourouk qu’en sus de l’affaire de la fraude aux douanes, Abdelkafi est rattrapé par une seconde affaire, où il fut également jugé par contumace à de la prison ferme, dès 2005, pour destruction de preuves dans une affaire d’escroquerie présumée.


Le problème éthique posé par le « revolving door », ou « porte tambour », consiste en une rotation de personnel entre un rôle de législateur et régulateur, et un poste dans l'industrie affecté par ces mêmes législation et régulation. Dans certains cas ces rôles sont assumés séquentiellement, mais dans d’autres circonstances ils peuvent être assumés simultanément. Une relation malsaine peut alors se développer entre le secteur privé et le gouvernement, basé sur l'allocation de privilèges réciproques au détriment de l'intérêt général.


Cette définition s’applique au cas Abdelkefi : virtuellement encore dirigeant de Tunisie Valeurs (400 mille dinars de revenus par an), un intermédiaire en bourse fondé par son père lui-même membre du conseil d’administration de la BCT, président du conseil d'administration de la Bourse de Tunis, fonction qu'il exerce de 2011 à 2014, il est nommé le 20 août 2016 comme ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale et cumulait depuis peu l’intérim du ministère des Finances.  


 


Charité bien ordonnée…


Pour certains, cette voracité a eu raison de l’empire Abdelkafi : devenu « trop gourmand », il aurait attiré l’attention de ses adversaires. D’autres développent une thèse plus complotiste : l’homme serait une « victime collatérale » de la guerre contre la corruption lancée par son propre gouvernement : en guise de représailles, l’un des barons de la contrebande aurait ainsi du fond de sa résidence surveillée fait tomber le ministre.


Mais est-ce bien important, lorsque l’on sait que la présumée délinquance en col blanc du ministre, objet de condamnations avérées en justice, se suffit à elle-même ? Que du temps ait été gagné grâce aux défaillances du système policier ou judiciaire, ou encore à des passe-droits provisoires accordé au notable Abdelkafi, cela n’empêche pas de tirer le principal enseignement de ce fiasco qui éclabousse par extension Youssef Chahed.


Avant de pouvoir appliquer une définition à minima de la corruption qui la réduit à la contrebande, quiconque lance une opération mains propres contre la corruption serait en effet bien inspiré de s’assurer que ne se trouvent pas en première ligne de son armée des généraux concernés par une corruption autrement plus orthodoxe : celle ayant trait aux marchés publics et aux passe-droits d’une classe de golden boys privilégiés.


 


Seif Soudani