Tunisie. Explosion de la violence dans les stades : la société et l’Etat impuissants
Scènes de violence devenues quasiment ordinaires, celles qui ont causé l’interruption samedi 29 avril du match entre l’Espérance sportive de Tunis (EST) et la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK) au stade Hamadi Agrebi à Radès ne sont en réalité que le point d’orgue d’une escalade de la brutalité dans les gradins qui touche désormais d’autres sports que le football en Tunisie.
Dès le lendemain des incidents de Radès, le Parquet auprès du Tribunal de première instance de Ben Arous a mandaté les agents de la police judiciaire pour placer pas moins de 66 personnes (dont 18 mineurs) en garde à vue, sur fond des violences extrêmes survenues en marge du quart de finale aller de la Ligue des champions d’Afrique.
Selon une source sécuritaire, parmi les dizaines de personnes interpelées, 12 mineurs ont été arrêtées pour jet de pierres et violences, tandis que 6 autres ont été interpellées pour falsification de tickets et détention d’armes blanches et de stupéfiants. Ces évènements ont eu lieu à la mi-temps, « de façon gratuite » selon plusieurs témoignages, ce qui a retardé le coup d’envoi de la seconde période d’une quarantaine de minutes. Des émeutes filmées, partiellement retransmises en direct, et qui choquent l’opinion dans le pays mais aussi dans l’Algérie voisine où les supporters de la JSK expriment leur indignation d’avoir été mêlés à ces violences, brutalisés par les forces de l’ordre.
Pourtant, même si les Tunisiens ont encaissé un but contre le cours du jeu, le match s’est soldé par un nul (1-1) qui qualifie l’Espérance qui s’était imposée (1-0) au match aller à Alger. Le score n’est donc pas en l’occurrence la cause de cette énième irruption de haine supporters VS police.
Dans un communiqué hier lundi 1er mai, la CAF a fermement condamné « le comportement indiscipliné d’une partie des supporters lors de deux matches de la Ligue des Champions de la CAF Total Energies en Tunisie et au Maroc samedi soir ». Le Maroc n’étant pas en reste puisque le match Raja AC vs Al-Ahly à Casablanca à également été le théâtre de diverses violences.
Le Secrétaire Général de la CAF, Veron Mosengo-Omba, a déclaré que l’affaire « sera confiée aux organes compétents pour enquête et mesures appropriées après que des jets de projectiles sur le terrain ont conduit à l’interruption du match ». Mosengo-Omba a indiqué en outre que « les scènes qui se sont déroulées à Tunis et à Casablanca sont inacceptables la CAF va confier l’affaire à ses structures judiciaires pour une enquête plus approfondie ».
Incendies, tronçonneuse et armes blanches… Une surenchère inédite
Le déferlement jamais vu qui a atteint son paroxysme samedi fut précédé par plusieurs épisodes similaires et avant-coureurs. Depuis la fin du huis-clos général de la saison 2019-2020 imposé pour raison sanitaire, le retour du public dans les stades tunisiens a été émaillé de plusieurs rétropédalages pour raisons sécuritaires, contraignant périodiquement les autorités à imposer de nouveau le huis-clos partiel ou total.
Récemment, un drame a même été évité le 10 avril dernier à la salle El Gorjani à Tunis après que la situation ait dégénéré lors du match opposant le Club africain à l’Etoile sportive de Radès, pour le compte de la première journée du Super play-off de basket-ball. Une intervention musclée de la police a ainsi provoqué une bousculade qui a fini par l’effondrement des barrières et la chute de plusieurs supporters selon lesquels l’usage abondant du gaz lacrymogène a provoqué l’incident.
Le 8 avril 2010, la violente révolte des Ultras du virage sud des supporters de l’Espérance sportive de Tunis est considérée par beaucoup comme le prélude annonciateur des évènements de la révolution qui allait survenir 8 mois plus tard. Signe que la chose est aujourd’hui prise suffisamment au sérieux, le nouveau ministre de l’Intérieur, Kamel Feki, s’est rendu en personne dimanche au stade de Radès. Devenu véritable baromètre de la grogne sociale mais aussi du mal-être d’une jeunesse qui y trouve un défouloir, le clash à répétition contre les lignes de front des forces de l’ordre fait craindre aux observateurs et sociologues une certaine sous-estimation du phénomène par l’actuel pouvoir.