Entretien avec Selim Ben Hassen, président de 3ich Tounsi
Objet de toutes sortes de spéculations autour des moyens considérables mobilisés par ses consultations populaires et ses activités associatives jusque dans la Tunisie profonde, « 3ich Tounsi » se targue d’une ambitieuse feuille de route en 12 points qui affiche clairement des ambitions politiques voire électorales. Sorte d’ovni à mi-chemin entre une ONG et une machine aspirant à la conquête du pouvoir, cette entité intrigue l’opinion publique. Pour y voir plus clair, nous avons interviewé son fondateur et président, Selim Ben Hassen.
Selim Ben Hassen (39 ans) n’est pas un inconnu pour les observateurs de la société civile et de la scène politique tunisiennes de ces 10 dernières années. Diplômé de Sciences Po Paris, il avait fondé le mouvement Byrsa qui organisait dès 2008 en France des conférences rassemblant l’ensemble des forces d’opposition tunisiennes au régime de Ben Ali.
Après son retour au pays en 2011, il est à nouveau au-devant de la scène politico-médiatique en tant que président de 3ich Tounsi, une puissante association dont l’une des co-fondatrices est la mécène Olfa Tarres, épouse du philanthrope franco-canadien Guillaume Rambourg.
« Dans quelques semaines », 3ich Tounsi devrait clarifier ses intentions quant à la constitution de listes électorales ou de soutien de candidats aux scrutins législatifs et présidentiel. Avant cela, à Tunis, il s’est confié au Courrier de l’Atlas en répondant à nos questions ainsi que celles de nos lecteurs.
Le Courrier de l’Atlas : Dès les 2ème et 3ème points de votre feuille de route, on peut lire des mesures d’ordre éminemment sécuritaire telles que « Installer des policiers dans les moyens de transports et sur les quais pour protéger les citoyens » et « Juger les agressions à main armée (braquages, harcèlements) comme des tentatives de meurtre ». Pourquoi une telle emphase sur l’insécurité et la répression ?
Selim Ben Hassen : « 3ich Tounsi » ce sont d’abord des citoyens ordinaires qui vivent le quotidien des transports en commun, eux et leurs familles. Cette feuille de route c’est aussi la transcription de notre propre vécu. Nombreux sont ceux qui veulent faire de la haute politique. Or, la politique, avant d’être de la théorie, consiste avant tout dans le bon sens, le bon sens qui peut améliorer la vie des gens.
Nous ne nous sommes jamais considéré comme des élites. Nous sommes au fait de ce qui se passe dans la rue tunisienne, ne serait-ce qu’à travers ce que vivent nos familles, nos amis, nos épouses, etc. Mais nous avons aussi voulu prendre le pouls des Tunisiens. Et dans ce qui ressort des réponses des 400.000 Tunisiens que nous avons interrogés, l’insécurité figure tout en haut de leurs priorités.
LCDA : Vous employez souvent des éléments de langage de type martial lorsque vous désignez « un ennemi » intérieur ou encore de « guerre à mener » contre la classe politique et la corruption. Revendiquez-vous un projet belliqueux ?
Selim Ben Hassen : Complètement ! Il y a pour schématiser deux modèles économiques : un modèle basé sur la rente et la distribution de la rente, et un modèle basé sur le travail et la création de valeur. Or, nous sommes en Tunisie dans un modèle tout à fait rentier, à l’image de la plupart des pays arabes, mais à la différence près que ces pays ont une rente, gazière ou pétrolière, et que nous n’en avons pas. Par conséquent nous avons une minorité qui se partage une rente et qui asphyxie tout le reste de la population.
Cette classe rentière c’est les politiques et certains hommes d’affaire corrompus. Ces gens-là sont la cause des malheurs que vivent 95% des Tunisiens. Dans ce conflit intrinsèque, nous avons choisi de défendre l’intérêt de la majorité des Tunisiens. Nous n’hésiterons pas à faire en sorte que les corrompus et les barons du système clientéliste n’échappent pas à la prison.
LCDA : Vos détracteurs vous reprochent de vouloir tâter le terrain social via l’associatif en vue de conquérir un pouvoir politique. Ce grief est-il fondé ?
Selim Ben Hassen : Personnellement je ne crois pas à la distinction entre l’associatif et le politique. Je suis pour que tous les intervenants nationaux aient un rôle dans le champ public et les enjeux nationaux : l’Etat, les citoyens, les groupements formels ou informels (associations, partis, collectifs…), et même le secteur privé. Tout est politique.
L’époque n’est plus aux classifications classiques mais aux nouveaux engagements. Ces derniers peuvent prendre des formes très diverses. La meilleure preuve est l'adhésion des Tunisiens à notre projet.
LCDA : L’autre accusation récurrente à l’encontre de 3ich Tounsi, c’est votre approche dite managériale de la politique, au nom de l’efficacité, ce qui sous-entend que vous seriez dans un apolitisme post idéologies. Qu’en est-il ?
Selim Ben Hassen : Je pense qu’il existe une vision romantique de la politique où celle-ci serait un idéal. Je trouve cette approche un peu narcissique. On ne fait pas de politique pour soi mais pour les autres, pour pouvoir changer les choses. Il y a donc bien entendu un enjeu d’efficacité. Oui, je n’ai rien contre une approche managériale de la politique ! Si l’idée c’est d’avoir une conviction, de ne pas simplement la vivre mais de la transformer en une réalité, en se fixant des objectifs, des indicateurs, des deadlines pour améliorer la vie des Tunisiens, je ne vois pas en quoi cela est péjoratif.
Propos recueillis par Seif Soudani