Enregistrement aux élections : démarrage réussi, mais entaché d’irrégularités
Plus de 12 mille Tunisiens se sont enregistrés, et 1543 autres ont effectué une mise à jour de leurs données au premier jour des enregistrements en vue des élections législatives et de la présidentielle de 2019. Un bilan dont se félicite l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), mais dont on découvre qu’il contient déjà au moins une grave enfreinte à la loi électorale et à la Constitution. Explications.
« Ce chiffre est un indicateur positif compte tenu de la situation du pays et de la désaffection du citoyen tunisien pour les affaires publiques, ainsi que certaines défaillances techniques qui se produisent généralement le premier jour du processus d’enregistrement », a considéré Anis Jarboui, membre du conseil de l’ISIE.
Priorité à la sensibilisation des jeunes
La même source indique que les coordinateurs de l’ensemble des gouvernorats s’étaient déplacés dans des lycées secondaires et avaient convenu avec les directeurs des établissements de leur permettre d’inscrire les élèves en âge de voter (18 ans). Un électorat jeune (entre 18 et 20 ans) estimé à quelques 300 mille électeurs.
Le dernier scrutin en date en Tunisie, celui des municipales du 6 mai 2018, avait montré un abstentionnisme extrêmement élevé dans cette tranche de la population. Cette fois la campagne d’enregistrement a été lancée relativement tôt, dès le 10 avril 2019, pour le double scrutin d’octobre et de novembre 2019, et ce afin d’encourager le plus grand nombre de Tunisiens non-inscrits à l’intérieur et à l’extérieur de la république à le faire.
L’ISIE précise que les inscriptions pour les élections législatives seront clôturées le 22 mai prochain, tandis que celles de la présidentielle le seront le 4 juillet 2019. Les Tunisiens résidents à l’étranger peuvent quant à eux s’inscrire chez eux ou à l’étranger auprès des missions diplomatiques et des consulats du pays de résidence ou via le site web qui contient toutes les données nécessaires.
Faute de temps, l’ISIE est-elle tombée dans l’illégalité ?
En 2014, une polémique avait déjà eu lieu lorsque l’IISIE avait eu recours à un raccourci en faisant appel au ministère des Affaires étrangères pour inscrire ainsi plus rapidement les Tunisiens résidents à l’étranger. On pensait ces procédés illégaux révolus. Mais voilà que les vieux démons de la non indépendance refont surface, à en croire le membre de l’ISIE Nabil Azizi, qui intervenait hier lundi sur les ondes de RTCI (vidéo ci-dessus).
Causant la stupeur de l’animateur Anis Morai, Azizi a révélé que son collègue le président de l’ISIE Nabil Baffoun « a donné son feu vert aux représentations consulaires pour inscrire les électeurs, le temps que l’instance régionale des élections (IRIE) prennent la relève »… « Mais ce que vous affirmez est contraire à la loi ! », rétorque l’animateur, interloqué. Ce à quoi le membre du Conseil de l’ISIE répond incrédule et nonchalant : « bah oui, c’est comme ça… ».
Un échange surréaliste, qui fait dire à certains internautes aussi choqués que narquois : « Tant qu’on y est, pourquoi ne pas confier les élections sur le plan national au ministère de l’Intérieur, comme au bon vieux temps, et qu’on en finisse ! ».
En guise de défense bancale, Nabil Azizi avance que ce qui compte c’est que les électeurs résidents à l’étranger bénéficient de leur droit au vote, quitte à ce que le pouvoir exécutif s’en mêle : « Ces derniers ont longtemps milité pour avoir cet avantage et être représentés au parlement » tente-t-il de tempérer, sans convaincre son intervieweur.
Rejetant la responsabilité de cette mesure sur son propre président Nabil Baffoun (ce qui en soi laisse deviner de nouvelles dissensions au sein de l’Instance), Azizi explique que ce dernier aurait pris cette décision, « à contre-cœur ».
L’efficacité à tout prix ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Toujours est-il qu’Azizi explique au passage que l’ISIE a de nouveau la main sur le processus : « Nous avons repris la main […] et le fait de donner le privilège aux consulats d’inscrire les électeurs n’aura pas d’impact significatif puisque seuls 50 personnes se sont présentées ». Un chiffre certes dérisoire sur le papier, mais un chiffre qui dans un passé récent, notamment durant les élections en Allemagne où Yassine Ayari l’a remporté avec 284 voix, a pu faire basculer des scrutins entiers.
Avec deux démissions de ses présidents en deux ans, respectivement en 2017 et 2018, l’instance chargée constitutionnellement de superviser les élections en Tunisie paye peut-être aujourd’hui le temps précieux perdu dans d’interminables conflits internes et autres atermoiements à l’Assemblée pour replacer les sièges vacants.
Seif Soudani
Site dédié à l’inscription des Tunisiens à l'étranger : www.touenssa.isie.tn