Ennahdha VS Nidaa Tounes, le conflit s’internationalise
L’escalade entre les deux plus grands partis tunisiens, alliés d’hier, prend désormais une tournure ouvertement internationale. Diplomatie parallèle, recours aux grandes puissances régionales, intervention des axes géopolitiques… Est-ce le virage de trop ?
Al Jazeera a abondamment couvert la position nahdhaoui, ajoutant au conflit Frères musulmans VS Arabie saoudite la complexité du conflit qataro saoudien
La nouvelle séquence politique a commencé avec une tendancieuse analogie, lorsque le leader d’Ennahdha Rached Ghannouchi a insinué la semaine dernière, en marge d’une conférence nationale du parti, son souhait qu’un soulèvement ait lieu en Arabie saoudite comparant l’affaire du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi au soulèvement populaire en Tunisie consécutif à l’immolation de Mohamed Bouazizi en 2011.
Quelques jours auparavant, Ennahdha publiait un communiqué dans lequel le parti à référentiel islamiste dénonçait « l’abominable crime » dont a été victime le journaliste saoudien. Une initiative critiquée par certains observateurs de la scène politique tunisienne qui y ont vu une forme de diplomatie parallèle, au moment où l’Etat tunisien n’avait pas encore exprimé de position officielle à l’égard de l’affaire.
Fin octobre, profitant de la visite de son homologue français Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie tunisienne, Khemaies Jhinaoui, met fin au flottement tunisien, tout en taclant implicitement le chef d’Ennahdha : « Si elle condamne l’assassinat du journaliste, la Tunisie met en garde contre toute tentative d’instrumentaliser l’affaire Khashoggi pour déstabiliser l’Arabie saoudite ». Une position à son tour critiquée pour son ambiguïté à l’égard du royaume wahhabite.
Se voulant plus décomplexé encore, le numéro 1 de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, enfonce le clou et envoie un message éminemment politique le 31 octobre, en emmenant une délégation en visite de courtoisie à l’ambassade d’Arabie saoudite, composée de Slim Riahi, nouveau secrétaire général du parti, Sofiène Toubel président du bloc parlementaire Nidaa, ainsi que Ons Hattab, nouvelle porte-parole du parti.
L’ADN politique reprend ses droits
Derrière ces manœuvres politiciennes, des dynamiques en réalité bien plus anciennes n’ont fait que reprendre le dessus.
Début octobre dernier, des exercices aériens conjoints entre les deux armées tunisienne et d’Arabie saoudite avaient lieu pour la première fois dans l’espace aérien tunisien. En pleine condamnation internationale des exactions au Yémen, cette coopération militaire privilégiée en dit long sur l’entente entre les deux pays, sachant que la politique étrangère est constitutionnellement le domaine gardé du président de la République.
Beaucoup ont par ailleurs oublié la discrète contribution, toujours en vigueur, de la Tunisie qui fait partie depuis décembre 2015 à la coalition islamique militaire antiterroriste composée de 34 pays, sous l’égide de l’Arabie saoudite, officiellement destinée à « combattre le terrorisme », mais qui dans les faits est opérationnelle surtout pour mater la rébellion des Houthis au Yémen.
Ce n’est pas la première fois qu’Ennahdha prend position pour sa part dans des conflits régionaux. Généralement pourtant consensuel et orthodoxe dans son centrisme idéologique, le parti anciennement dit islamiste tend à prendre des positions tranchées que lorsqu’il s’agit de politique étrangère, rappelant en cela l’AKP d’Erdogan avec lequel Ennahdha partage son hostilité frontale à l’égard de la Syrie de Bachar al-Assad. Idem en l’occurrence pour la détestation viscérale de l’Arabie saoudite de Mohamed Ben Salman.
Une détestation qui vient rappeler la filiation d’Ennahdha avec les Frères musulmans, ennemi juré des saoudiens, bien que les islamistes tunisiens récusent dans les déclarations officielles toute filiation directe avec le décimé parti islamiste égyptien.
Dans un entretien accordé à la chaîne d’information allemande DW, le président tunisien a refusé de commenter ses rapports tendus avec Rached Ghannouchi, s’estimant « au-dessus des différends partisans ». Mais à quasiment 1 an jour pour jour du prochain scrutin national, nul ne peut cacher dorénavant que la guerre des partis et des loyautés est totale.
Seif Soudani
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