Ennahdha ou Nidaa Tounes, quel est le parti majoritaire en Tunisie ?

 Ennahdha ou Nidaa Tounes, quel est le parti majoritaire en Tunisie ?

Mohsen Marzouk et Rached Ghannouchi


Dans n’importe quelle démocratie bien établie, en perdant la majorité numérique au parlement, un parti politique perdrait de facto la majorité tout court, voire le pouvoir, avec des élections anticipées. Pourquoi les choses sont-elles plus compliquées dans la jeune démocratie tunisienne, où même un remaniement ministériel n’est pas à l’ordre du jour ?


En Tunisie, le statu quo post désintégration de Nidaa Tounes rappelle que le pays nobélisé n’est encore qu’en phase de transition démocratique, peut-être même de régression antidémocratique, contrairement à ce que pourrait le laisser penser le dernier classement en date en la matière, finalement assez trompeur, qui classe le pays 66ème démocratie mondiale et 2ème de la région MENA selon une ONG autrichienne.


Dimanche 20 décembre, l’affranchissement définitif du camp Mohsen Marzouk, secrétaire général démissionnaire de Nidaa Tounes, ébranle les équilibres et les rapports de force à l’Assemblée des représentants du peuple. Mais déjà, ils ne sont plus que 21 fidèles députés à le suivre dans son entreprise sécessionniste. 10 autres hésitent entre le statut d’indépendants et une nouvelle étiquette.


Qu’à cela ne tienne, à ce moment précis, le bloc Nidaa Tounes ne compte plus que 65 élus contre 86 précédemment. De fait, Ennahdha et ses 69 députés devient le plus grand bloc parlementaire.


 


« La théorie de la patate chaude », ou la démocratie assistée


Pour autant, point de réjouissance ou de triomphalisme, ni dans l’hémicycle, ni dans les déclarations publiques des islamistes. A Ennahdha, nul ne veut de l’encombrant cadeau du pouvoir, après une amère expérience du pouvoir de 2011 à 2014, à l’aune de la situation égyptienne où les Frères musulmans ont été décimés.


« Ne vous inquiétez pas, à Ennahdha, on est même prêts à prêter des députés à Nidaa Tounes pour les sauver s’il le faut », ironise-t-on dans les réseaux sociaux. C’est que le scénario du démantèlement de Nidaa ne correspond pas tout à fait au récit idyllique de la réussite du modèle tunisien, pensé et voulu y compris par les partenaires et bailleurs de fonds internationaux de la Tunisie.


 


Pire qu’une cohabitation, la fausse entente cordiale


Mais à vouloir à tout prix la stabilisation politique du pays, parallèlement à l’obsession d’une lecture occidentale exclusivement sécuritaire de la peur de Daech, le risque pris par les élites tunisiennes est celui d’une oblitération méthodique de tout débat politique réel au profit d’un consensualisme dont il s’avère qu’il était une bombe à retardement.


C’est cette inhibition du débat d’idées que Mohsen Marzouk, au pied du mur, tente d'annuler à contrecœur. « Il n’y a aucun rapport entre le projet national moderne bourguibiste et le projet islamiste, si ce n’est un rapport de concurrence », a martelé Marzouk à Hammamet le même jour de sa démission.


L’allusion est claire : le conflit à Nidaa Tounes n’est en effet pas que personnel, entre le fils du président de la République et Mohsen Marzouk : le conflit est aussi idéologique.


Dans la foulée de l’annonce de la coalition Nidaa Tounes – Ennahdha qui dirige le pays depuis bientôt 1 an, le camp Marzouk avait toujours insisté sur le fait qu’il s’agit moins d’une coalition que d’un simple « partenariat », tandis que le camp Hafedh Caïd Essebsi tente de consolider son pouvoir en allant plus loin dans le rapprochement avec l’islam politique. Jusqu’à s’être trouvé un ancêtre commun entre nationalisme et islamisme, Abdelaziz Thâalbi, figure faisant la jonction entre les deux conservatismes, à la faveur d'une relecture de l'histoire récente.


Au final, l’effet de la querelle de parti chez Nidaa a eu pour seule conséquence salutaire de réactiver le débat politique sur les bases plus saines et lisibles d’une vraie confrontation de programmes et d’agendas, là où la tentation était grande chez Ennahdha de se fondre dans la survivance d’un RCD tenace, au point de vouloir conduire des listes électorales communes aux prochaines élections municipales, histoire de rester dans un registre du politiquement correct.


Cela sera-t-il suffisant pour pousser Ennahdha à apparaître sous un jour plus authentique de parti aux idées conservatrices ? Rien n’est moins sûr, d’autant que seulement 14 députés dissidents restent aujourd’hui dans le sillage d’un Mohsen Marzouk de plus en plus isolé. Cela laisse augurer d’une fuite en avant dans un congrès Nidaa Tounes purement formel et non électif, qui replongera la scène politique dans son confortable marasme intellectuel, au profit d’une logique opportuniste de partage du gâteau.


 


Seif Soudani