Tunisie. Emprunt auprès de la Banque centrale : des économistes tirent la sonnette d’alarme
Nous l’évoquions dès le 30 janvier, à court d’argent, l’Etat tunisien a entrepris la mesure sans précédent d’emprunter des milliards à sa banque centrale pour combler les déficits budgétaires et panser sa crise économique. Une mesure qui, selon les experts économistes, pourrait provoquer de l’inflation et ébranler la confiance dans les institutions. Florilège des premières réactions.
Ayant échoué de manière prévisible dans les efforts tardifs de rapatriement des biens mal acquis des décennies écoulées, puis dans son chantier de la réconciliation pénale avec les hommes d’affaires soupçonnés de corruption, le pouvoir saïdiste a donc discrètement opté pour la solution du dernier recours, une alternative qui ne passe pas inaperçue tant ses conséquences sont potentiellement dévastatrices à moyen terme.
Planche à billets en roue libre
Réagissant vendredi 2 février, l’éminent économiste Ezzeddine Saidane n’a pas mâché ses mots dans un texte intitulé « 22 milliards de planche à billets » :
« 7 milliards de Dinars d’un seul coup sur 10 ans avec 3 années de grâce et sans intérêts, en plus des 15 milliards de Dinars déjà tirés sur la planche à billets (8,8 open market + 2,8 prêt direct en 2020 + 3,4 autres formes de planche à billets selon le site de la BCT) soit un total de 22 milliards de Dinars de planche à billets. La planche à billets se déchaîne ! Et on vous dit que le prêt de 7 milliards se fera à titre exceptionnel ! Et on vous dit que cela n’aura pas d’impact inflationniste !
Parmi les conséquences : inflation d’abord et perte de pouvoir d’achat, chute des réserves en devises, baisse de la valeur du dinar tunisien, dégradation du bilan de la Banque centrale, après une forte dégradation des bilans des banques ayant fortement prêté à l’État et aux entreprises publiques, aggravation de la situation de récession économique, probable nouvelle dégradation enfin de la note souveraine de la Tunisie…
Et on vous dit aussi qu’il n’y a pas d’autres solutions ! Non, il y a d’autres solutions : les réformes visant à redresser l’économie et par conséquent les finances publiques. Des réformes indispensables, inévitables et qui ont beaucoup trop tardé. Des réformes qui coûteraient beaucoup moins cher que les non-réformes ».
Une décision précipitée et inflationniste
Le professeur en économie, Bassem Ennaifer, a de son côté estimé que le prêt en question auprès de la Banque centrale devait le cas échéant en guise de moindre mal servir à payer les fournisseurs afin de faciliter une relance de l’activité économique et non les dépenses salariales ou sociales. Il a en outre estimé que « les recettes fiscales de la Tunisie suffisent en réalité à couvrir les besoins en matière d’interventions sociales et de dépenses salariales ». Il met en garde contre notamment « la révision du statut de la BCT de façon à normaliser l’emprunt auprès de cette institution. Ceci provoquera une hausse de l’inflation ».
Concerné au premier chef, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane Abassi, a à son tour commenté ledit prêt, mercredi, lors d’une audition en commission parlementaire, relativisant le risque inflationniste dans l’immédiat, mais estimant que cela diminuerait les réserves en devises du pays de pas moins de 14 jours d’importations.