Émeutes : Chahed dément toute coopération avec Londres

 Émeutes : Chahed dément toute coopération avec Londres

La Une du Guardian


Le porte-parole du gouvernement Iyed Dahmani a démenti aujourd’hui les informations du journal anglais The Guardian selon lesquelles le gouvernement britannique aurait financé une campagne médiatique contre les mouvements sociaux pour le compte du gouvernement tunisien. Cependant le doute persiste. Explications.


« Le gouvernement tunisien n’a conclu de contrat avec aucune agence de publicité dans ce sens », a-t-il affirmé dans un communiqué de la Présidence du Gouvernement rendu public ce 4 juillet. Un démenti qui intervient 24 heures après la publication de l’article en question du Guardian, abondamment relayé par la presse nationale.


 


Y a-t-il eu manipulation de l’opinion publique ?


Visiblement soucieux de neutraliser la polémique, Dahmani a précisé que la coopération entre la Tunisie et le Royaume Uni « s’effectue dans le cadre des conventions de coopération et des mémorandums d’entente signés entre les deux pays ».


« Ces conventions concernent plusieurs domaines et s’inscrivent dans le cadre de la coopération technique et technologique », a-t-il expliqué.  Des affirmations ambiguës, qui n’ont pas totalement convaincu, même s’il le porte-parole affirme qu’aucun accord bilatéral n’est à proprement parler relatif au traitement des mouvements de protestation sociale dans le pays, lit-on de même source.


 


The Guardian est formel


Le journal britannique “The Guardian” indiquait dans son article que le gouvernement britannique avait indirectement financé une campagne médiatique PR (public relations), via l’agence de communication internationale M&C Saatchi pour le compte du gouvernement tunisien, après les violentes manifestations et autres mouvements sociaux qui avaient éclaté consécutivement à la controversée loi de finances aux quatre coins du pays en janvier 2018.


Le prestigieux journal britannique précise en outre que le gouvernement s’est engagé avec l’agence de publicité en question, « spécialiste en stratégies », afin de mener une campagne ciblant les Tunisiens âgés entre 18 et 35 ans, une moyenne d’âge qui correspond autant aux chômeurs diplômés qu’aux meneurs de la contestation de l’époque, fédérés par la campagne spontanée « Fech nestannew » (« Qu’attendons-nous »).


On peut y lire également que cette campagne avait pour objectif de les sensibiliser au rôle du gouvernement dans la planification et l’exécution des réformes économiques entreprises dans le cadre d’un plan soutenu par le Fonds monétaire international pour réduire le déficit budgétaire et renforcer le développement économique en Tunisie. Outre son style épuré et direct, M&C Saatchi est connu pour avoir mené de campagnes politiques marquantes pour la droite anglaise, pour le compte du Parti conservateur britannique.


 


Le spectre des vieux démons de 2011


Si l’affaire est aussi délicate pour le gouvernement Chahed, lui qui est généralement soucieux de se donner une image de jeunesse et de modernité démocratique, c’est que ce n’est pas la première fois que les autorités tunisiennes sont tentées par le « joker » étranger s’agissant de gestion de crises.


L’affaire rappelle en effet celle de début 2011, encore dans tous les esprits, lorsque la Tunisie était en pleine fièvre révolutionnaire, et que Michèle Alliot-Marie alors ministre des affaires étrangères avait proposé « le savoir-faire français » à la police tunisienne face aux manifestations. Une proposition qui avait suscité une vive colère des opposants au régime de Ben Ali.


Cette affaire Saatchi / Chahed attire également l’attention du grand public sur un aspect méconnu, quasiment tabou, au chapitre des pratiques contemporaines des pouvoirs en place, au niveau des ministères et de diverses institutions de l’Etat, relevant d’une certaine américanisation des esprits : de plus en plus d’institutions gouvernementales ont tendance à sous-traiter au privé, spécialement leur politique de com’, ce qui suggère que ces spécialistes détiennent la science infuse en la matière. L’affaire Panorama était déjà un avertissement en ce sens.


Or, plus que jamais, la frontière est aujourd’hui ténue entre communication et gouvernance, ce qui pose la question légitime d'une subtile perte de souveraineté.    


 


Seif Soudani


 


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