30ème Sommet arabe à Tunis : l’Arabie saoudite veut rétablir son hégémonie
Le président de la République Béji Caïd Essebsi a accueilli le 28 mars à l’aéroport de Tunis – Carthage le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud qui entame une visite d’Etat de trois jours en Tunisie. En coïncidant opportunément avec le 30ème Sommet arabe en cours à Tunis, cette visite royale entretient une tendancieuse confusion protocolaire. Jusqu’où peut-on aller dans les concessions aux caprices du royaume wahhabite ?
Les préparatifs du sommet, vus par la caricaturiste Wills
Tunis, jeudi soir, route de la Marsa, il règne une atmosphère quasi apocalyptique durant l’heure de pointe : trafic interrompu dans les deux sens d’une artère principale, des usagers de la route tunisois assistent médusés à un déploiement de force des plus ostentatoires auquel même Donald Trump ne pourrait pas aspirer : deux convois interminables, dont un cortège leurre, précédés de voitures blindées à antennes satellite, de motos sportives arrivées également par avion-cargo, et des vans armés jusqu’aux dents d’armes d’assaut, à bord desquels des commandos cagoulés dévisagent les passants.
« Ah bon ? Je ne pensais pas qu’il y avait d’autres chefs d’Etats à Tunis… », s’exclame une dame quelque peu crédule, tant le gigantisme de l’intimidante démonstration du cortège saoudien éclipse celui des autres chefs d’Etat.
Ce n’est pas la première fois qu’en marge d’un sommet donné, l’un des hôtes effectue une visite d’Etat, dans la foulée, par commodité, ce qui lui confère une place de choix, le rendant de facto plus visible. Mais en ces temps de « guerre des axes » et de nouvelles luttes d’influence régionale qui dominent les relations inter-arabes, le symbole de la réhabilitation de la suprématie saoudienne, en terre tunisienne, est de lourd de sens.
Le souverain du royaume d’Arabie saoudite est arrivé accompagné d’une importante délégation de princes, de ministres et de hauts responsables saoudiens. De son côté la présidence de la République tunisienne avait indiqué dès jeudi que cette visite s’inscrit dans le cadre du « renforcement des relations historiques distinguées entre la Tunisie et l’Arabie saoudite ».
Des relations qui avaient connu un tournant depuis la visite de Béji Caïd Essebsi à Ryad en décembre 2015, suivie d’importantes visites de hauts responsables des deux pays, notamment la visite de fraternité et de travail effectuée par le prince héritier Mohammed ben Salmane en Tunisie en novembre 2018, lit-on de même source, qui passe naturellement sous silence la polémique visite à Ryad de l’ex ministre tunisien de l’Intérieur Lotfi Brahem la même année, qui lui avait valu d’être limogé peu de temps après.
« Unifier », un mot d’ordre qui sonne comme un vœu pieux
Le porte-parole du Sommet arabe Mahmoud Khemiri a beau se prévaloir de son côté que les participants à la réunion préparatoire du Conseil économique et social au niveau ministériel se sont accordés jeudi sur l'importance de relever les défis qui se posent pour unifier le rang arabe, la formule a des airs de déjà-vu.
Plus pragmatiques que d’ordinaire, les conférenciers ont néanmoins concédé que les réalisations en termes d’intégration régionale arabe sont « en deçà des aspirations », notamment à cause des conditions qui prévalant dans certains pays arabes, a ajouté Khemiri, allusion aux guerres en cours « as we speak » en Syrie, au Yémen, au Soudan et ailleurs…
Revoir certaines aspirations à la baisse, c’est bien ce dont il s’agit pour le stérile dossier syrien. Alors que, côté tunisien, d’aucuns se flattaient depuis février de la possibilité que soit discutée une réintégration de la Syrie à l’occasion de ce sommet, le drapeau du régime syrien flotte à Tunis sans que cela ne soit suivi d’effet. Ainsi Khemiri s’est contenté de constater que cette décision est tributaire d'un consensus arabe « qui n'existe pas à l'heure actuelle ».
Concernant enfin du dossier palestinien, dans le cadre de l'appui au budget de l'autorité palestinienne à travers le filet de sécurité financière, il a été proposé de concevoir une nouvelle formule portant création d'un instrument d'autonomisation économique en Palestine, censé contrecarrer la multiplication des sanctions israéliennes.
S’agissant de la récente annexion du plateau du Golan occupé, Khemiri a annoncé qu'une déclaration a été élaborée pour être soumise aux dirigeants et présidents des pays participant au Sommet arabe dimanche prochain, journée de clôture du sommet, réitérant en chœur cette fois la position arabe contre la décision du président américain de reconnaître la souveraineté israélienne sur le Golan syrien.
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