32ème Foire internationale du livre de Tunis : une édition minée par les idéologies

 32ème Foire internationale du livre de Tunis : une édition minée par les idéologies

Stand de l’Institut français


Hier dimanche s’achevait la 32ème édition de la Foire internationale du livre de Tunis. L’occasion de revenir sur une semaine où le vieillissant Parc des expositions du Kram devient comme chaque année l’épicentre de l’actualité culturelle, voire de l’actualité tout court à Tunis. 




 


 


Première surprise, alors que l’édition 2015 avait connu une nette baisse de visibilité des rayons consacrés aux ouvrages religieux, cette année ces derniers font leur grand retour et sont même légion. « On se croirait au rayon Ansar al Charia ici », ironisent des visiteurs. La multiplication des attentats majeurs et les suspicions qui planent autour d’une certaine littérature islamique ne semblent donc pas avoir eu d’incidence sur les choix de la direction de la Foire.


Parmi les succès éditoriaux cette année, « Les grands complots mondiaux », un classique, sorte de marronnier de la littérature conspirationniste.


Les espaces d’exposition ne sont pas la seule attraction de l’imposant espace, aménagé pour recueillir de façon non-stop des débats et conférences dans des salles annexes grouillant de curieux. S’y côtoient des ateliers animés par des auteurs féministes et modernistes à l’image de Raja Ben Slama et Abdelaziz Belkhodja, parfois mis mal à l’aise par l’enchevêtrement des sons des enceintes diffusant entre autres les débats mitoyens sur l’exégèse coranique.    


Autre phénomène marquant cette année, la multiplication des stands loués par certains pays qui y faisaient leur « com’ » culturelle. Si le Maroc et l’Algérie, placés côte à côte, étaient bien représentés (18 mètres carrés chacun), la France se taillait la part du lion avec probablement le stand le plus imposant, celui de l’Institut Français de Tunisie, installé en plein milieu de la Foire, signe d’une politique étrangère en pleine réforme s’agissant du prestige de la francophonie.


L’Iran figurait aussi en bonne place parmi les exposants, aussi soucieux de sa représentativité que lors du Forum Social Mondial, tout comme l’Egypte avec des livres de plébiscite de la dictature militaire d’al Sissi, tandis que des pays plus lointains comme l’Argentine faisaient leur apparition dans les allées de la Foire.  


Selon une récente étude de l’Institut Emrhod Consulting, 8 Tunisiens sur 10 avouent ne pas posséder de livres à la maison en dehors des journaux, magazines, livres scolaires et le Coran. Ainsi ils sont 82% de Tunisiens à ne pas avoir acheté de livres durant l’année, avouent-ils, interrogés par la même source. En cause, « le manque de temps libre » mais aussi la concurrence du numérique et le prix moyen des livres. Même à la Foire où les livre sont théoriquement au rabais, difficile de trouver un roman à moins de 20 dinars.    


 


Polarisation et invectives


Pour avoir passé quelques jours dans les couloirs de la Foire du Livre du Kram, nous pouvons témoigner du fait que cette année la violence verbale entre Tunisiens atteignait souvent des niveaux inouïs en cette édition émaillée de quelques incidents.


Au détour d'un stand institutionnel, une dame d'un certain standing interpelle gratuitement une jeune voilée : « Tu ne représentes pas cette organisation, espèce de Daéchienne ! » (partisane de Daech, ndlr). La jeune femme en question était vêtue d'un voile noir et de jeans ordinaires près du corps.


Plus tard, un ancien prisonnier politique, Béchir Khalfi, qui a passé 17 ans derrière les barreaux de l'ancien régime présente son livre sur la disparition forcée, « Al Madghour ». Un homme qui passe devant la foule compacte lance sans hésiter : « Connard ! ». Il avait apparemment vaguement deviné que l'auteur du livre avait un background islamiste. Estomaquée, la foule n'a pas répondu.


C'est aussi l'effet récurrent des lendemains d'attentats terroristes : déguisée en sécularisme, la parole fasciste se fait décomplexée et s'exprime dans ce qu'elle a de plus agressif et direct. Le terme "polarisation" ne suffit plus dès lors à décrire cette fracture. Sale temps pour la démocratie un peu partout dans le monde, plus particulièrement dans une foire du livre, lieu de cohabitation de cultures antagoniques.


 


Seif Soudani