10ème congrès d’Ennahdha : le congrès de la consécration ?
Invitations délivrées, salle de Radès fin prête, teasing de la force tranquille… Ennahdha s’apprête à une démonstration de force dans l'un des plus grands espaces couverts du pays. Aujourd’hui encore, c’est sans doute l’unique parti capable de remplir une telle enceinte en Tunisie. « Rescapé des Frères » dans la région pour les uns, « géant castré » pour les autres, où en est le représentant de l’islam politique en Tunisie, à l’heure de son deuxième congrès hors clandestinité, celui de la transformation, entre concession et maturation.
Né sous forme de socle prosélyte, le Mouvement de la Tendance Islamique avait revêtu dans un deuxième temps la dimension parti politique, pour enfin concilier les deux en devenant Ennahdha. Il semble que le parti ait enfin tranché en faveur de l’exclusivité du politique.
Des mesures quasi constituantes
A l’occasion de son 10ème congrès, Ennahdha est en réalité sur le point d’entériner ce qui fut d’ores et déjà décidé au sein de ses structures internes en marge des travaux préparatoires du congrès. Ce dernier est considéré comme étant historique en ce qu’il consacrera des mesures radicales au sein du mouvement qui deviendra à proprement parler un parti, au même titre que l’AKP turque, soit une droite conservatrice classique, économiquement libérale.
Cette séparation du politique et du religieux, sorte de sécularisation du parti, est conduite par le leadership d’Ennahdha sous l’appellation technique de « spécialisation fonctionnelle ». Elle pose de facto la question de l’identité du parti, un sujet qui refait débat.
Dans Le Monde, interrogé aujourd’hui 19 mai sur la problématique du référentiel religieux, Rached Ghannouchi explique : « Ce que nous disons, c’est qu’il faut bien spécifier la différence entre l’activité politique et l’activité religieuse. Le lieu de l’activité politique n’est pas la mosquée. » Invoquant par ailleurs la nouvelle Constitution tunisienne, c’est ainsi que le chef du parti justifie l’abandon de l’expression « islam politique », même s’il y a fort à parier que cette appellation survivra encore longtemps dans le jargon des analystes.
L’expérience du pouvoir
L’étape transformative que vit le parti découle par ailleurs de l’évolution plus pragmatique que le parti a vécue avec l’exercice du pouvoir post-révolution, qui en cinq année a vu Ennahdha assoir son pouvoir « par le bas », avant de passer à l’administration et la gestion du pays par le haut, au prix d’une normalisation avec l’ancien régime.
Ainsi la dichotomie religieux / politique correspond à la dualité société / Etat, ou plus précisément la réforme via l’Etat, une stratégie que les sites éradicateurs assimilent au « Tamkine » (la domination).
Pourtant, dans les faits, à supposer que cela soit la finalité des « Frères » tunisiens, du chemin reste à faire dans une administration qui tolère souvent à reculons une cohabitation davantage subie que voulue, au sein d’un Etat profond qui a conservé des réflexes du bénalisme.
La voie prise par Ennahdha se distingue néanmoins de l’éphémère expérience égyptienne où les Frères Musulmans avaient choisi de scinder en deux le parti avec deux missions distinctes, l’une sociale et l’autre politique.
« Le renoncement au volet sociétal en Tunisie ne signifie pas nécessairement un abandon total de la vocation missionnaire », explique le chercheur Karim Marzouki, cet aspect étant désormais du ressort des composantes de la société civile proches du parti ou gravitant dans sa sphère idéologique. « La crainte c’est que la scission entre le politique et le religieux cache plus simplement une scission entre les idéaux et les intérêts », poursuit Marzouki.
Ambitieux, le parti voit loin et se projette jusqu’en 2030 s’agissant de sa vision économique. Depuis Radès où les préparatifs ont commencé, Ennahdha offrira à ses bases un show à la mesure de son hégémonie parlementaire en guise de consolation, à défaut de pouvoir réellement gouverner.
Seif Soudani