Elections, le blues des Tunisiens de l’étranger

 Elections, le blues des Tunisiens de l’étranger

crédit photo : Thomas Samson/AFP


Alors que les législatives et la présidentielle ont lieu à la fin de l’année, les Tunisiens de l’étranger, représentés par 18 députés sur 217, sont très peu mobilisés. Peu de moyens sont mis pour informer cet électorat, qui se sent déconsidéré. 


Le scénario se répète chaque année. A l’approche de l’été, les Tunisiens de l’étranger (TRE) font l’objet de toutes les attentions de la part des autorités. 2019, année électorale, n’échappe pas à la règle, au contraire. Le 18 juin, le gouvernement de Youssef Chahed a dévoilé une série de mesures à destination des familles modestes vivant hors de Tunisie.


Ces annonces interviennent par ailleurs au moment où les grandes manœuvres – et les coups bas – en vue des échéances électorales s’intensifient. Avec 18 représentants sur 217 parlementaires, les Tunisiens de l’étranger ont un poids politique non négligeable et attisent logiquement les convoitises de tous les futurs candidats. Mais cet électorat n’est cependant pas facile à capter. En 2014, la première élection législative post 2011 n’avait pas mobilisé les foules. Selon l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), seuls 380 000 TRE s’étaient inscrits sur les listes électorales, soit à peine le quart des Tunisiens inscrits dans les consulats.


4 000 inscrits sur 1,5 million d’électeurs


“La participation s’annonce encore catastrophique, s’alarme Nabil Azizi, membre du conseil de l’ISIE en charge des opérations de vote à l’étranger. Même si la période d’enregistrement des nouveaux électeurs a été prolongée, “on ne devrait avoir que 400 000 inscrits au total sur 1,5 million de Tunisiens à l’étranger”, regrette-t-il.


Cet ancien président du bureau régional de Marseille de l’ISIE, élu en 2017 au conseil de l’instance, déplore l’absence de moyens et de stratégie de mobilisation des électeurs de la diaspora. “Pas un centime n’a été dépensé par l’ISIE pour mobiliser les électeurs à l’étranger”, s’insurge Nabil Azizi, qui affirme avoir plusieurs fois relancé ses collègues sur ce sujet. Il n’a obtenu que l’affectation de deux opérateurs pour traiter les inscriptions en ligne des TRE. Un chiffre dérisoire comparé aux 3 000 agents mobilisés sur tout le territoire tunisien, appuyés par une large campagne d’affichage urbain, pour inviter les électeurs, en particulier les jeunes majeurs, à s’inscrire ou à vérifier leur présence sur les listes électorales. Un effort payant puisque plus de 1,4 million de nouveaux électeurs ont été inscrits.


En France, peu de TRE ont entendu parler de cette période d’inscription. “Je suis inscrit depuis 2011, mais pour ma fille de 20 ans, qui n’avait pas l’âge de voter en 2014, on dirait que c’est trop tard, admet dépité Kamel, un commerçant de Strasbourg, pas encore certain de se rendre aux urnes. A quoi bon ? J’ai voté pour un parti qui a promis une alternance, mais qui a fini par s’allier avec ses opposants pour gouverner. Une fois élus, ils nous oublient tous jusqu’aux prochaines élections.”


“Des vaches à lait”


Un sentiment partagé par les associations de Tunisiens de la diaspora. L’association Union pour la Tunisie (Uni-T), créée en France au lendemain de la révolution pour participer à la transition démocratique, observe un désintérêt croissant pour la chose publique, alimenté par la déception suscitée par les élus censés représenter les TRE. “Parmi les personnes que je croise, on entend le plus souvent que rien n’est fait pour les Tunisiens de l’étranger, ou alors qu’ils ne sont que des vaches à lait quand ils rentrent au pays pour les vacances”, constate Hela Boudabous, présidente de la structure.


Dernier exemple en date : dans le lot de mesures en faveur des TRE, décidées mi-juin, figure la mise en vente de 20 000 billets d’avion à tarif abordable à la suite de la polémique suscitée par les tarifs prohibitifs atteints durant la saison estivale. Or, “le véritable tarif de ces ­billets est bien plus élevé qu’annoncé. Une fois de plus, ce n’est que de la com’”, fulmine Hela Boudabous.


“En fait, nos élus ne servent qu’à grossir les rangs des ­partis à l’Assemblée. Ils ne nous contactent presque jamais et ne viennent pas rencontrer leurs électeurs, ajoute-t-elle. Comment mobiliser les électeurs des deuxième et troisième générations de la diaspora dans ces conditions ? Nous ­aimerions organiser des débats entre représentants des partis sur les questions qui nous touchent, comme la ­corruption, mais tous refusent ou tergiversent.”


“Il est prévu que les élus se rendent régulièrement dans leurs circonscriptions ; ce qu’on appelle la ‘semaine des régions’. Mais, à de rares exceptions près, les députés des TRE ne le font jamais”, explique Selim Kharrat, président d’Al Bawsala (“la boussole” en arabe), association spécialisée dans le suivi et la diffusion de l’activité du Parlement à travers son observatoire, Masard Majless, consultable en ligne.


Pour les partis traditionnels, le risque de voir les électeurs se détourner d’eux semble donc de plus en plus réel. Un danger qui les menace également sur le sol tunisien. Depuis plusieurs mois, les sondages de la présidentielle montrent invariablement que les chefs de file des partis traditionnels sont relégués loin derrière un trio formé par le sulfureux homme d’affaires Nabil Karoui, le professeur de droit à la ligne très conservatrice Kaïs Saïed et une ex-haute responsable du parti du dictateur déchu, Abir Moussi. A cela s’ajoute l’entrée en lice annoncée de candidats aux ­législatives issus du mouvement 3ich Tounsi de la richissime Olfa Terras Rambourg. Seul l’actuel chef du gouvernement, Youssef Chahed, serait en mesure de rivaliser dans la course à la présidence.


Manœuvres préélectorales


Sous couvert de moralisation de la vie publique, c’est donc pour écarter cette concurrence que la coalition au pouvoir a soumis aux parlementaires plusieurs amendements à la loi électorale en juin, selon Sélim Kharrat. Le président d’Al Bawsala n’a d’ailleurs pas de mots assez durs pour qualifier ces manœuvres à quelques mois des élections. “On ne change pas les règles du jeu à la veille du match ! La forme et le fond de ces amendements en font un déni de démocratie. Je ne suis pas contre une moralisation de la politique, mais là, il ne s’agit que d’un opportunisme malsain qui remet en cause la crédibilité même de notre démocratie.”


Une période d’incertitude


La procédure elle-même est entachée de vices. De nombreux élus ont rapporté n’avoir reçu les dernières versions des textes que très peu de temps avant le vote en séance plénière, alors qu’elles auraient dû être revues en commission au préalable. Le sixième point du texte, qui ouvre la possibilité de rejeter la candidature de personnes ayant tenu un discours de haine ou des propos contre les droits humains, “est typiquement un article sujet à une interprétation vague et donc dangereuse”, estime Sélim KharratC’est entre autres sur ce point qu’une quarantaine de parlementaires ont saisi l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois, ouvrant une période d’incertitude quant à l’adoption définitive de la nouvelle loi électorale.


De son côté, le président de l’ISIE, Nabil Baffoun, l’a assuré : les dates des élections sont “officielles, définitives” et fixées par la Constitution. Si le texte de loi n’est pas adopté, les procédures électorales seront ­menées conformément aux textes existants. 


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