Tunisie. Diplomatie : la politique de la chaise vide
La politique extérieure du président de la République Kais Saïed se caractérise par une inertie souvent inexpliquée, une lenteur notamment dans le remplacement des postes vacants plus marquée encore que les atermoiements en matière de gestion de la politique intérieure du pays.
C’est un fait : le constat d’une liste des chancelleries sans ambassadeur tunisien qui ne cesse de s’allonger intrigue. Au jour d’aujourd’hui, une vingtaine de postes d’ambassadeurs de la Tunisie demeurent en effet inoccupés. Si le mouvement diplomatique se fait toujours attendre, le dernier départ en date est celui de l’ambassadeur de Tunisie à Rome, Moez Sinaoui, qui avait été prolongé d’une année, et qui a quitté son poste suite à l’expiration de ce mandat depuis la mi-septembre.
Les exégètes du révolutionnaire mandat présidentiel ont beau expliquer que l’on vit à compter du 25 juillet 2021 une période de transition qui ne dit pas son nom, les Affaires étrangères relevaient déjà des prérogatives du président Saïed en vertu de l’ancienne Constitution. Pourtant, au ministère des affaires étrangères, les diplomates de carrière prennent leur mal en patience apprend-on. Le dernier mouvement diplomatique remonte ainsi à 2020. Depuis, plus aucun ambassadeur n’a été désigné. « Cette année comme l’année dernière, le ministre Othman Jerandi n’a toujours pas convoqué la conférence annuelle du personnel diplomatique, qui devait avoir lieu cet été », relève African intelligence.
Pendant ce temps-là, la liste des postes vacants s’allonge au fil de l’expiration des mandats, atteignant désormais le nombre record de 21 missions diplomatiques.
Souverainisme et isolation
Parmi les ambassades européennes vacantes, on compte aussi Londres, Athènes, Varsovie, Berlin, et Belgrade. En Allemagne, la mission diplomatique n’a plus de chef de mission depuis le départ de Hanen Tajouri, qui s’est envolée pour Washington en octobre 2021. Ghazi Gherairi, qui était représentant permanent de la Tunisie auprès de l’Unesco et de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), a également été rappelé à Tunis pendant l’été, alors qu’il devait aider à coordonner l’organisation du sommet de l’OIF qui se tiendra à Djerba les 19 et 20 novembre. Ce cas précis est emblématique des mouvements qui portent la signature du « Saïdisme » : considéré proche du grand juriste Yadh Ben Achour, l’un des représentants de l’intelligentsia tunisoise ennemie jurée idéologique du président Saïed, Gherairi se savait sur le départ.
Mais visiblement isolé et paranoïaque dès lors qu’il s’agit des complots étrangers et des loyautés (cela est encore apparu dans le discours du 1er octobre où Kais Saïed a une fois de plus évoqué « les traîtres qui vendent leurs âmes aux tables des ambassades »), Carthage semble à la peine dès lors s’agit de trouver des substituts capables de combler ces postes hautement stratégiques.
La liste se prolonge avec entre autres Pékin, Doha, Pretoria, Brasília, Ankara, Abidjan et Dakar. Les consulats ne sont pas en reste, puisque 6 consulats généraux sont aujourd’hui concernés : Lyon, Nice, Marseille, Milan, Damas et Bonn.
Ces diverses vacances de poste nuisent considérablement à la réactivité du pays dans des dossiers clés, mais aussi les partenariats bilatéraux, particulièrement économiques où les décisions se font attendre, au moment où Tunis, toujours en négociation avec Fonds monétaire international, traverse une crise sans précédent.