Tunisie. Deux ex chefs de gouvernement visés par une enquête du Pôle antiterroriste

 Tunisie. Deux ex chefs de gouvernement visés par une enquête du Pôle antiterroriste

Youssef Chahed, chef de gouvernement sous présidence de Béji Caïed Essebsi

Le Pôle antiterroriste s’est saisit le 30 mai 2023 d’une nouvelle enquête impliquant une vingtaine de personnalités politiques de premier plan, parmi lesquelles plusieurs ex-ministres et surtout deux anciens chefs de gouvernement.

Il s’agit de la troisième instruction judiciaire de ce type, évoquant un « complot », en l’espace de quelques mois seulement. La société civile fustige une judiciarisation tous azimuts de la vie politique qui vire à la grande prison à ciel ouvert, avec potentiellement pour projet de société « la prison pour tous ».

Hier soir mardi, l’avocate Islem Hamza a ébruité l’affaire indiquant dans un statut qu’un juge d’instruction du Pôle judiciaire antiterroriste avait pris en charge une énième affaire de « complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État » impliquant plusieurs personnalités politiques importantes.

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Après une affaire similaire fin novembre 2022 impliquant là aussi 25 personnalités high-profile de l’opposition et d’anciens ministres, puis une affaire en février 2023 toujours pour « complot » ambitionnant un coup d’Etat, l’autre similitude avec le dossier d’aujourd’hui est l’omniprésence du nom de l’ancienne bras droit du président de la République Kais Saïed, la juriste Nadia Akacha, exilée à l’étranger.

Cette dernière s’est indignée une fois de plus hier soir sur les réseaux sociaux de ce qu’elle estime être un acharnement contre sa personne et a évoqué son intention de rentrer un jour en Tunisie où elle compte donner sa version des faits sur « les vrais traîtres à la nation ».

Mohamed Rayen Hamzaoui, ex maire d’Ezzahra

La Tunisie prise par la fièvre de la « complotite aigüe »

« Au bout du compte, nous allons probablement apprendre que c’est le peuple tunisien tout entier qui complote contre les gouvernants ! », a ironisé de son côté l’un des avocats de la défense Samir Dilou.

Islem Hamza a quant à elle révélé que le premier mandat de dépôt a d’ores et déjà été émis dans cette affaire : il s’agit d’un ancien maire d’Ezzahra (banlieue sud de Tunis), Mohamed Rayen Hamzaoui, qui a annoncé être entré dans une grève de la faim. L’avocate ajoute qu’une série d’arrestations devrait avoir lieu dans les tout prochains jours.

Faisant allusion à leurs profondes divergences idéologiques, Maître Hamza a par ailleurs noté qu’il suffisait d’observer les noms des personnes impliquées pour comprendre que « selon toute logique, il leur est impossible de s’unir ou de s’accorder pour un complot ». Ainsi la liste en question comprend des ex-ministres et des sécuritaires de premier plan, la plupart étant affiliés au parti islamiste Ennahdha, mais un nom en particulier attire l’attention : celui de l’ex-chef du gouvernement Youssef Chahed, certes un temps à la tête d’une coalition gouvernementale Nida Tounes – Ennahdha jusqu’en 2019, mais appartenant à la mouvance moderniste.

Plus surprenant, jusque début 2022, Youssef Chahed était considéré dans les coulisses du nouveau pouvoir comme étant l’un des rares politiciens entretenant encore des relations privilégiées avec Kais Saïed.

Cette fois l’enquête lancée par le tribunal de première instance de Tunis et le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme est initiée au titre de la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.

Autre figures connues citées en l’occurrence, l’ex-conseiller au ministère de l’intérieur, Kamel Bedoui (Ennahdha), Rached Ghannouchi (dont c’est la dixième affaire en cours en justice), l’ex-député Habib Ellouze (Ennahdha), l’ex-ministre de l’Intérieur (Ennahdha) Ali Laârayedh, l’ex-ministre des Affaires sociales Lotfi Zitoun, et l’ex-directeur général de la Sûreté nationale Kamel Guizani.

Le flou sémantique des accusations

Plusieurs de ces personnalités sont déjà incarcérées. Le 15 mai dernier Rached Ghannouchi avait en effet été condamné à 1 an de prison pour « apologie du terrorisme ». Ali Laârayedh est lui détenu depuis décembre 2022. La défense fustige de surcroît le fait que ces nouvelles accusations se basent sur le témoignage d’un businessman déjà incarcéré depuis 2017, le sulfureux Chafik Jarraya, ainsi que du témoignage de son avocat.

Le récent exil à l’étranger de l’ancien candidat à la présidentielle Youssef Chahed risque de compliquer lui aussi l’enquête. La défense s’indigne enfin du fait que les accusations demeurent floues et « reposeraient essentiellement sur des contacts entretenus entre ces diverses personnalités », le maire d’Ezzahra étant notamment mis en cause pour sa relation présumée avec l’ancienne cheffe du cabinet présidentiel Nadia Akacha.

L’enquête judiciaire s’inscrit dans un long feuilleton de « complots contre la sûreté de l’Etat », une intrigue considérée par diverses ONG comme étant un outil d’intimidation contre toute velléité d’opposition dans le pays.