Destitué, Essid s’offre un dernier baroud d’honneur

 Destitué, Essid s’offre un dernier baroud d’honneur

Le doigt accusateur d’Habib Essid devant les élus de l’ARP


Je ne tomberai pas seul. Telle semble être la logique qui a présidé aux desseins d’Habib Essid, en choisissant de se sacrifier devant un vote de confiance dont l’issue était connue d’avance. Historique le vote de confiance au gouvernement Essid ? Derrière l’apparent exercice démocratique sain se cache probablement l’une des pires régressions qu’ait connues la jeune démocratie tunisienne depuis l’avènement de la Deuxième République.




 


« Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine. » La phrase est extraite du paragraphe de clôture de l’Etranger de Camus. S’agissant du caractère absurde de la séance parlementaire à laquelle ont assisté les Tunisiens hier samedi, littérature existentialiste et philosophie de l’absurde constituent de bonnes sources d’analogies.  


Au coin presse de l’Assemblée, un correspondant anglophone résume la situation en des termes clairs : « He took his beating, like a brave man ».   


A l’issue d’une séance plénière marathonienne, seulement 3 députés ont en effet accordé le renouvellement de la confiance à Essid, pour 27 abstentions (dont ceux d’Afek Tounes) et 118 voix contre. 43 élus parmi les 191 présents n'ont pas participé au vote, essentiellement ceux de l’opposition. Le gouvernement devra gérer les affaires courantes jusqu'au remplacement du chef de gouvernement sortant.


 


Digne mais politiquement correct


Deux imposants rapports en main dont les copies ont été distribuées aux députés, Essid était venu pour défendre le bilan d’une petite année et demie, preuve en main. Pendant que certains élus bavardaient ou étaient absorbés par leurs smartphones, l’homme a d’abord tenté de surfer sur les récents succès en matière d’antiterrorisme (trêve de quelques mois sans attentats), priorité numéro 1 de son gouvernement a-t-il rappelé.


« La lutte contre la corruption est ardue tout comme celle contre le terrorisme. Mais là où le terrorisme est maitrisé, la corruption requiert quant à elle plus de suivi et de détermination », a ensuite concédé Essid, qui n’ira pas plus loin dans la divulgation des obstacles qu’il a connues en la matière. Pourtant c’est là le « elephant in the room », un sujet tabou lié à la chute de son gouvernement.


Le fait que l’homme, droit dans ses bottes, soit devenu au fil de son mandat à la tête de ce que certains appellent « le parti de l’administration » n’aurait pas plu aux clans les plus affairistes du pouvoir. Et encore moins au fils du président de la République Hafedh Caïd Essebsi, depuis qu’il a acquis il y a 6 mois la conviction qu’Essid serait trop proche du clan rival du sien à Nidaa Tounes, celui de Ridha Belhaj, sur fond de guerre des nominations locales.   


D’où la manœuvre purement politicienne pour pousser le gouvernement Essid vers la sortie, alors même que ce dernier avait bénéficié d’un vote de confiance confortable à deux reprises.   


 


Monia Brahim et Ammar Amroussia, champions du parler vrai


Au chapitre des interventions des députés, passées les amabilités d’usage unanimement décrites comme « hypocrites » par la twittosphère, quelques tirades sortent incontestablement du lot. A l’image de celle de Monia Brahim (Ennahdha), qui s’affranchissant de la discipline de son bloc, a relevé les incohérences de ce vote de confiance, et a reproché sa frilosité à Essid qui a selon elle manqué un rendez-vous avec l’histoire, en péchant par manque d’audace dans la dénonciation des lobbies mafieux.    


La verve de l’orateur Ammar Amroussia (Front Populaire) n’est également pas passée inaperçue. L’élu représentant la région de Gafsa a directement interpelé le président de la République en l’invitant à écarter son fils des rouages de l’Etat et de son parti, ce qui a aussitôt inspiré une campagne virale sur le web « weldek fi darek ! » (« ton fils, c’est à la maison ! », ndlr).


 


Et maintenant ?


En veillant à être investi par le Parlement et seulement destitué par cette même institution, Habib Essid ne fait pas que veiller à un simple respect d’un certain parallélisme des formes, en langage juridique. Il va bien au-delà, en égratignant par cette forme de rébellion institutionnelle un présidentialisme accepté par l’ensemble d’une classe politique décidément poltronne et timorée.   


Si deux longs mois de tractations avaient été nécessaires pour constituer le gouvernement Essid, ce fragile partage du butin législatif entre quatre partis de droite, on peut imaginer ce que désormais neuf partis et trois organisations de la société civile vont requérir comme tergiversations pour un réagencement des cartes


Selon la Constitution, le président a jusqu’au 10 août prochain pour nommer une personnalité à la Kasbah, et ce dernier a jusqu’au 10 septembre pour constituer une équipe gouvernementale jouissant de la confiance. 


L’initiative présidentielle de gouvernement d’union nationale plonge en réalité le pays dans une vacance du pouvoir synonyme d’incertitude et d’inconnu. Prendre à témoin le peuple via l’ARP fut pour Essid un moyen pertinent de s’en laver les mains.      


 


Seif Soudani