Des médias remettent en cause « l’ingérence » des ONG de défense des droits de l’homme

 Des médias remettent en cause « l’ingérence » des ONG de défense des droits de l’homme

Dans une lettre ouverte à l’Assemblée


« Les législateurs tunisiens devraient abandonner certaines dispositions problématiques contenues dans le dernier projet de loi antiterroriste. » Le texte du communiqué commun de neuf grandes organisations internationales appelant à mettre la loi en conformité avec les standards internationaux a suscité des réactions médiatiques violentes dignes des années Ben Ali.


 


Un projet de loi non conforme aux standards internationaux


Conscientes de la menace posée par le terrorisme, des ONG ont pointé cependant plusieurs lacunes dans le projet de loi actuellement en discussion à l’ARP. En l’état, il porte selon elles sérieusement atteinte aux droits humains et est en contradiction avec les bonnes pratiques internationales. Les organisations signataires sont Amnesty International, Article 19, Avocats sans Frontières (ASF), le Réseau euroméditerranéen des droits de l’homme (REMDH), la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH), Human Rights Watch (HRW), l’Organisation mondiale contre la Torture (OMCT), Reporters sans Frontières (RSF) et le Centre Carter.


Parmi les points soulevés figure la prolongation à 15 jours de la garde à vue sans possibilité pour le suspect d’être assisté d’un avocat. Une procédure qui « affaiblirait les garanties d’une procédure régulière pour les personnes inculpées ». Une telle durée les mettrait sous la menace de mauvais traitements. Plusieurs des signataires se sont en effet alarmées de la persistance de la torture dans les commissariats et lieux de détention en Tunisie.


Ces ONG s’inquiètent aussi de l’allongement de la liste des actes sanctionnés par la peine capitale et surtout de la définition floue du terrorisme qui pourrait par exemple « ouvrir la voie à des poursuites pour acte de terrorisme en cas de manifestation publique ». « Les lois visant à lutter contre le terrorisme devraient respecter, et non bafouer, les normes internationales relatives aux droits humains », estiment les auteurs du communiqué.


 


Virage d’une partie de la presse tunisienne


Dans un raidissement médiatique contre les défenseurs des droits de l’homme inédit depuis 2011, des médias tunisiens, dont le quotidien La Presse, premier tirage du pays, ont violemment réagi à ce qu’ils qualifient d’« ingérence » d’organisations étrangères. Les articles, particulièrement agressifs, ont étonné tous les responsables de la société civile contactés.


« Nous dénonçons avec la plus grande fermeté ce genre d’articles de presse qui rappellent les années Ben Ali », affirme Ramy Salhi, directeur du bureau Maghreb du REMDH, au nom de l’ensemble des ONG concernées. « Remettre en cause l’engagement et la contribution des ONG n’est ni sain, ni innocent », selon lui. Il ne décolère pas après avoir lu cette série d’articles, dont il remarque qu’« à aucun moment ils ne traitent du fond, c’est-à-dire du contenu de la loi ; mais ils préfèrent s’attaquer à ceux qui travaillent à faire de la Tunisie un pays modèle dans la région par son respect des libertés et des droits humains au sens large ».


« Nous rencontrons régulièrement les plus hautes autorités pour des séances de travail, qui se sont toujours déroulées cordialement », rappelle le responsable du REMDH, qui appelle ces dernières à condamner ces attaques. Le collectif d’ONG se concerte pour décider de la suite à donner et préparer le droit de réponse qu’il ne manquera pas de publier.


 


« Que faut-il faire pour éradiquer leur interventionnisme avant qu’il n’enfle davantage ? »


Le retour d’un discours anti droits de l’homme est perceptible en particulier dans La Presse de Tunisie. Avant son article « Faut-il toujours écouter les ONG ?! » le quotidien public avait publié le 6 juillet une tribune intitulée « Triste de partir à la retraite et de laisser le pays aux loups », dans laquelle un cadre des forces de sécurité partant à la retraite faisait l’éloge de l’ère Ben Ali, « l'époque où la Tunisie était toujours classée parmi les pays les plus stables de l'Afrique ». L’ancien fonctionnaire semblait maudire « certains pseudo-opposants tunisiens appuyés par des partisans étrangers des droit-de-l'hommisme (sic) » qui combattaient le régime de l’époque.


« Que faut-il faire pour éradiquer leur interventionnisme avant qu’il n’enfle davantage ? » se demande Abdelkrim Dermech dans sa mouture du 8 juillet à propos des recommandations des ONG. Une rhétorique qui inquiète. « On vise les acteurs capables de défendre les acquis constitutionnels. Mais il est à craindre que la lutte contre le terrorisme ne serve d’alibi pour restreindre les libertés », s’alarme un responsable associatif sous couvert d’anonymat.


« Mis bout à bout, cette réaction calomnieuse d’un journal public, additionnée au récent retrait de loi sur l’accès à l’information et à la mise en place de l’état d’urgence, tout cela devient inquiétant. Si les organisations étrangères se retiraient, ce serait au tour des Tunisiens de subir ce genre d’attaques », ajoute ce responsable d’une importante ONG.


 


Des ONG très tunisiennes


Répondant à l’accusation d’ingérence il rappelle que 80 % du personnel des ONG dites étrangères en Tunisie sont des locaux et que leurs financements sont totalement transparents. Pour la FIDH ou le REMDH, qui sont des réseaux d’associations, elles comptent plusieurs organisations tunisiennes parmi leurs membres.


« Nous n’avons pas travaillé seuls sur ces recommandations. Nous agissons en soutien à nos membres tunisiens, qui ont soulevé ces problèmes dans le projet de loi. Nous ne sommes donc pas là pour imposer une vision soi-disant étrangère », explique M. Salhi. « Ces recommandations ne sont là que pour mettre le texte en conformité avec les traités internationaux que la Tunisie a signés et s’est donc engagés à transcrire dans sa législation », ajoute-t-il.


Le REMDH et les autres ONG contactées s’attendent toutes à une réaction forte de la part de la société civile, mais aussi des autorités, contre le retour d’une presse à la solde de responsables politiques souhaitant un retour à un État autoritaire. « Nous rencontrons régulièrement les plus hautes autorités pour des séances de travail, qui se sont toujours déroulées cordialement », rappelle le responsable du REMDH.


Rached Cherif