Démissions en série chez les jeunes cadres Ennahdha
Rien ne va plus dans les rangs des jeunes leaders d’Ennahdha, où les départs se sont succédés tout au long de cette semaine. Après les démissions coup sur coup le 14 janvier de Hichem Larayedh et Zied Boumakhla, deux membres du Conseil de la choura, c’est au tour de Hager Barcous (26 ans), une figure connue notamment dans la circonscription France sud, de claquer la porte. Nous l’avons contactée.
Dans le parti islamiste, devenu simplement « conservateur », pourtant réputé pour l’implacable discipline de ses membres et dirigeants, si certains expliquent ces tensions d’une ampleur inédite par l’approche du 11ème congrès, ou encore par la gestion hasardeuse de l’après relatif échec électoral d’octobre 2019, les départs de personnalités de premier plan ont en réalité commencé dès juillet 2019 et la démission du membre du Conseil de la choura Hatem Boulabiar, suivie de celle de Zied Ladhari fin novembre 2019, secrétaire général du parti.
On pensait alors que le parti s’était seulement délesté de deux outsiders aux profils similaires : des quadras issus de professions libérales, arrivés sur le tard au sein de la « confrérie ». Comme dans toute organisation à l’ADN idéologique réputé sectaire, on commence ainsi en temps de crise par se séparer des derniers arrivés, représentants d’une intégration aussi forcée que suspecte aux yeux des membres fondateurs pris de paranoïa.
Cependant la date symbolique du 14 janvier 2020, 9ème commémoration de la révolution, a cette fois vu le départ de deux enfants du parti : Hichem Larayedh, fils de l’ancien ministre de l’Intérieur et ancien chef de gouvernement Ennahdha, Ali Larayedh, et Zied Boumakhla, membre du Conseil de la choura chargé de la jeunesse et de l’action estudiantine. A eux deux les deux jeunes hommes symbolisaient la relève nahdhaouie. Ils laissent derrière eux des communiqués laconiques, se contentant d’annoncer leurs départs respectifs non sans une certaine amertume pour « les sacrifices concédés ».
Cinquième figure de proue « high profile » à partir en peu de temps, Hager Barcous, binationale originaire de Mahdia, comptant parmi les jeunes cadres les plus actifs et remarqués à l’étranger, a publié hier soir mercredi le texte suivant sur les réseaux sociaux :
« J'annonce officiellement que je ne fais plus partie d'Ennahdha et que, désormais, je ne me reconnais plus dans ses actions ni dans son discours ni dans ses décisions.
J'ai rejoint Ennahda en 2011, j'avais à peine 17 ans. Mon expérience au sein de ce parti a marqué ma vie et m'a permis de mûrir et d'avoir un lien à la fois émotionnel et politique.
Certains d'entre vous ont enregistré mon numéro sur leur téléphone Hager Ennahdha, d'autres m'appellent Ennahdha tout court. Dans ma famille dès qu'on en parle tout le monde me regarde. J'ai connu énormément de gens grâce à réseau. Et je suis reconnaissante à beaucoup pour tout ce qu'ils m'ont apporté.
J'ai été simplement une adhérente, ensuite membre du CA de Nice, puis responsable régionale des jeunes de France Sud, et j'ai fini par me faire élire en 2018 en tant que responsable de la région Côte d'Azur, qui s'étend de Menton jusqu'à Cannes, en passant par la Corse.
C'est modeste, voire peu comparé aux parcours de ses militants que je respecte énormément. Mais aujourd'hui, tout s'arrête. Ce lien solide que j'ai fondé avec Ennahdha a fondu.
Du moment qu'un comportement patriarcal et paternaliste à la fois a été de mise au sein de notre bureau régional France Sud et qu'aucun responsable n'a pris ma défense.
Suite à ce harcèlement moral que j'ai subi, à ces atteintes à ma dignité et autres injures, je me suis adressée aux instances compétentes internes espérant retrouver mon honneur mais en vain.
On peut tolérer certains dépassements mais quand ça devient une habitude, quand ça cautionne certaines attitudes injustes, je dis stop. Cela ne me convient plus. »
Nous avons aussitôt pris contact avec Hager Barcous, pour savoir si son départ pouvait de surcroît avoir un lien avec la polémique en cours autour du voyage en Turquie du chef du parti. La jeune femme, ancienne candidate tête de liste Ennahdha, a nié toute relation avec cet épisode, et nous a confié que sa démission intervient essentiellement suite aux pressions liées à la gestion des listes électorales par le bureau exécutif lors des dernières élections législatives.
Si, hier soir toujours, l’idéologue Lotfi Zitoun a tenté de relativiser la crise que vit son parti en évoquant « une unicité du temps de années de lutte contre l’ancien régime, et des différends normaux post révolution, à l’image des autres partis », Ennahdha devra probablement composer longtemps encore avec les conséquences politiques de la chute du gouvernement Jemli et d’une motion de censure qui pourrait bientôt coûter au parti la présidence du Parlement.