Démission de 32 députés Nidaa Tounes : un séisme politique

 Démission de 32 députés Nidaa Tounes : un séisme politique


 


A l’issue d’une réunion marathon dans une salle annexe de l’Assemblée des représentants, la démission du plus du tiers des élus Nidaa, dans la nuit de dimanche à lundi, préfigure une réorganisation des blocs parlementaires non sans conséquences sur la majorité. C’est un coup de tonnerre dans une vie politique récemment portée aux nues à l’international pour ses vertus du « consensus ». Une escalade résultat logique d’une gestion clanique du premier parti du pays. 




 


C’est Karim Baklouti Barketallah, un insider, qui est le premier à l’annoncer en début de soirée : estimant qu’ils ont atteint un point de non-retour dans la négligence de leurs doléances post incident de Hammamet, la trentaine de députés sont cette fois résolus à démissionner doublement, du bloc et du parti. Quelques heures plus tard, comme pour signifier leur sérieux, un document adressé au président de l’Assemblée, Mohamed Ennaceur, est collectivement signé, daté du 9 novembre, et dont l’objet laconique est « démission ».


D'après Sabrine Goubantini, une ultime séance de conciliation s'est soldée par une impasse, après qu'Ennaceur leur ait signifié que la réunion du 12 novembre est maintenue, et qu'elle devrait consacrer des choix contraires à ceux prônés par le bureau exécutif quant au congrès du parti que certains veulent non électif. 


 


Et maintenant ?


Indépendamment des considérations politiques, ce développement a un impact institutionnel immédiat. Le règlement intérieur de l'ARP stipule en effet dans son chapitre V relatif à l’organisation des blocs parlementaires, article 34, que « chaque sept membres, ou plus, ont le droit de former un bloc parlementaire. Un même parti ou coalition ne peut former qu’un seul bloc parlementaire. Chaque membre de l’Assemblée a le droit d’appartenir à un bloc de son choix. Toutefois, il ne peut faire partie que d'un seul bloc. »…


Comme si l’idée d’une nouvelle formation était déjà engagée, le « groupe des 32 » dissidents a déjà établi un semblant d’identité visuelle : sur les réseaux sociaux, ses partisans affichent désormais un « 32+ » aux couleurs rouges du parti, signifiant un nombre potentiellement bientôt à la hausse. L’illustration est agrémentée de toutes sortes de slogans tels que « oui au projet Nidaa porteur de valeurs modernistes », ou encore « contre le projet du mafieux Chafiq Jarraya », référence à l’homme d’affaires proche des milieux islamistes soupçonné d’avoir noyauté l’autre camp du parti.   


Si la faction dissidente ne représente au final qu’un peu plus du tiers des 86 élus Nidaa, soit « un nombre insuffisant pour bouleverser en profondeur les équilibres au sein de l’Assemblée » rétorquent ses détracteurs, elle est néanmoins portée par des figures charismatiques clés, au poids symboliquement conséquent au sein du parti, à l’image de Mohsen Marzouk et de Lazhar Akremi, deux co-fondateurs membres du comité constitutif de Nidaa Tounes.


D’où la stupeur qu’ont provoqué les propos de Béji Caïd Essebsi samedi : « J’ai réuni les députés qui comptent… Les autres je ne les reconnais plus », a-t-il déclaré lors son voyage retour de Suède en Tunisie. Un parti pris clair pour le camp porté par son propre fils Hafedh, mais aussi une enfreinte à la Constitution qui impose au président de la République de se tenir à égale distance de tous les partis politiques.


 


Ennahdha ou le « syndrome du placard »


Aussi surprenant et paradoxal que cela puisse paraître, ce sont des figures d’Ennahdha, parmi ses cadres et ses jeunesses, qui ont exprimé les premiers leurs regrets, dimanche, face à ce dénouement. Quelque peu alambiqué, leur raisonnement consiste à exiger un partenaire fort, ennemi d’hier allié d’aujourd’hui, au nom de la stabilité politico-économique du pays.


Pourtant, en Turquie l'AKP vient de réaliser un « landslide », en Egypte le régime Al Sissi est en difficulté, et même le régime saoudien entame une détente en considérant les Frères musulmans à nouveau comme des interlocuteurs. Malgré cela, en Tunisie, Ennahdha persiste à raisonner en ces termes : « les gens ne nous acceptent que parce que nous sommes deuxièmes ».


Le groupe des 32 démissionnaires tient une conférence de presse ce lundi à 15h00. Nous y reviendrons.


 


S.S