Tunisie. Démarrage calamiteux de la consultation populaire présidentielle
Censée être le prélude à une vaste refonte constitutionnelle par référendum, « e-istichara », une consultation électronique du peuple voulue unilatéralement par le président Kais Saïed, est en phase de test, à une semaine de son lancement effectif. Mais déjà les bévues s’accumulent, laissant présager d’un processus totalement opaque, et d’une adhésion limitée des Tunisiens.
Ancien membre de la « campagne explicative » de Kais Saïed, le gouverneur de Ben Arous affirme que cette consultation « permettra au peuple de décider de façon souveraine de son destin »
Alors que seulement 45 % des foyers disposent d’une connexion Internet, « la consultation populaire électronique exclut déjà une partie significative des Tunisiens », notent d’emblée les détracteurs du projet dont l’opposition qui appelle à son boycott.
« Votre présent et votre avenir sont lancés », se prévaut la page d’accueil du portail électronique de la consultation nationale lancée officiellement le 1er janvier dernier pour recueillir les suggestions des Tunisiens conformément à la vision très particulière du dialogue national selon Kais Saïed, un dialogue non pas entre les corps intermédiaires du pays, mais entre lui-même et « le peuple ».
Selon le ministère des Technologies qui chapeaute l’opération, ce n’est à ce stade qu’une « opération d’essai et de sensibilisation », dite opération blanche, qui a démarré dans les Maisons de jeunes des 24 régions du pays. « La plateforme sera ouverte à l’ensemble des citoyens à compter du 15 janvier et jusqu’au 20 mars », peut-on lire sur le même site.
Or, sous des abords de simple précision anecdotique, il s’agit là du premier cafouillage qui entache la crédibilité de ce processus initialement prévu pour le 1er janvier. Une date corrélée au calendrier d’une feuille de route plus globale annoncée le 13 décembre par le Palais de Carthage, et comprenant des échéances électorales dont on peut penser que leurs dates sont, elles non plus, non contraignantes.
Signes avant-coureurs d’amateurisme technique
Cette approximation et ce report soudain cachent en effet vraisemblablement une sous-estimation de la logistique, des ressources et du dispositif de sécurité informatique nécessaires à la mise en place d’une telle opération, dans un pays où 13 mille connexions simultanées ont suffi récemment à mettre à genoux la plateforme vaccinale Evax, sans parler des fraudes mises en évidence par la société civile.
Au 5 janvier 2022, seules un peu plus de 600 connexions ont été enregistrées par la phase expérimentale de la consultation e-istishara, un chiffre dérisoire.
Dans un communiqué autour de cette impréparation manifeste, l’ONG de vigilance I-Watch déplore outre les inquiétudes quant aux données personnelles des Tunisiens, la mystérieuse présence d’un inconnu lors des réunions de préparation de ladite consultation aux côtés du gouvernement.
Vérification faite, il s’agit du jeune Akil Nagati, dont la startup Wizzlabs, domiciliée à l’étranger, est associée à l’élaboration de la plateforme. Si l’intéressé a depuis réagi en arguant que son rôle ne fut que consultatif, des spécialistes de la sécurité réseau se sont indignés de l’absence d’appel d’offre et du favoritisme qui a visiblement profité à une entreprise inexpérimentée, « âgée de 2 ans tout au plus ».
Incongruités thématiques
S’agissant du contenu proposé là aussi sans la moindre participation d’acteurs autres que le Palais, le site décline en une trentaine de questions, souvent orientées, plusieurs volets : politiques et électoraux, économiques et financiers, les problèmes sociaux, le développement et la transition numérique, la santé et la qualité de la vie, et les affaires éducatives et culturelles, avec la possibilité d’ajouter des remarques dans un espace de suggestions libres.
Notons à titre d’exemple certaines questions inhérentes aux besoins énergétiques de chaque région, une thématique complexe, à laquelle le commun des mortels est censé répondre, dans un pays où l’illettrisme tourne autour de 20%…
Plus préoccupant encore, le manque de transparence quant au comité à qui incombe la tâche de la synthèse des résultats de la consultation, et leur conversion dans un second temps en propositions d’ordre constitutionnel.
Au moment où les tensions politiques et sociales seront à leur plus haut avec les manifestations prévues le 14 janvier prochain, les détracteurs du « rétropédalage démocratique » en cours en Tunisie dénoncent un cache-misère populiste, faussement participatif, reprenant l’idée de consultations similaires ciblant les jeunes du temps de l’ancien régime de Ben Ali.