Décès des nouveau-nés de la Rabta : une affaire d’Etat

 Décès des nouveau-nés de la Rabta : une affaire d’Etat

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En l’espace de 24 heures, 11 nouveau-nés étaient décédés à la maternité de l’hôpital public de la Rabta. Mais le bilan vient de s’alourdir avec le décès d’un douzième bébé, apprend-on auprès du professeur Mohamed Douagi, chef du service de réanimation néonatale de l’hôpital militaire de Tunis. Le drame est désormais l’une des plus graves affaires d’Etat qu’ait connues le pays, à tel point que d’aucuns qualifient la tragédie de « crime d’Etat ».


Un malheur n’arrivant jamais seul, Douagi, qui est par ailleurs le président de la Société tunisienne de pédiatrie, nous a confirmé que l’une des jeunes mamans qui avaient perdu leurs bébés, est également décédée à son tour des suites d’une hémorragie au même hôpital de la Rabta… Une loi des séries relayée notamment par la députée Hager Ben Cheikh Ahmed qui a appelé à des « sanctions exemplaires ».


La même source médicale a démenti cependant que les médicaments qui ont été administrés aux bébés décédés aient pu être périmés, comme les conclusions préliminaires l’avaient indiqué dans un premier temps


 


Le calvaire des familles


« C’est une double perte », affirme une de ces mères sinistrées expliquant que la mort de son nouveau-né demeure pour elle entourée de mystère. « Mon bébé était en bonne santé à la naissance. Aujourd’hui, j’ai demandé son corps, ils (la direction de l’hôpital, ndlr) m’ont demandé de payer d’abord la somme de 500 dinars de frais d’hospitalisation » s’indigne-t-elle.


Neziha Rhili, une autre mère touchée par ce drame, a quant à elle reçu le corps de son enfant, « sans aucune explication ». Cette femme originaire de Gafsa lance un appel de soutien à travers les différents réseaux sociaux dans sa principale revendication : la reddition des comptes pour tous ceux qui sont responsables de la mort de son nourrisson.


Pis, d’après des sources concordantes, des agents de l’hôpital auraient tenté de prendre chaque parent à part, pour l’informer du décès de son enfant, en prétendant que l’hypoglycémie ou encore l’hypertension chez la mère pendant la grossesse pouvait en être la cause…


Or, la mort des nouveau-nés serait due à « des infections sanguines ayant provoqué un choc septique », selon les premiers éléments de l’enquête menée par une cellule de crise au ministère de la Santé. Des échantillons ont été prélevés sur les nouveau-nés et le staff médical pour déterminer l’origine des infections, transmis à trois laboratoires distincts pour identifier l’origine des infections et déterminer ainsi les responsabilités d’une manière catégorique.


Pour la Société tunisienne de pédiatrie, une infection nosocomiale sévère dont le point de départ est un produit d’alimentation parentérale, serait derrière le décès des nouveau-nés.


 


Les intolérables dysfonctionnements de la santé publique tunisienne


Le chef du gouvernement Youssef Chahed, dépêché à l’hôpital Wassila Bourguiba a martelé que l’enquête judiciaire fera la lumière sur les circonstances de la tragédie, promettant de demander des comptes aux responsables. Il avait pour rappel au préalable accepté la démission de son ministre de la Santé, le médecin de formation Abderraouf Cherif.


Mais dans la société civile et l’opposition, de très nombreuses voix s’élèvent pour demander le départ immédiat du gouvernement dans son intégralité, surtout à gauche où les partis al Chaâb et al Watad dénoncent l’incompétence de l’ensemble de l’équipe gouvernementale qui n’aurait pas pris suffisamment au sérieux le dernier rapport en date de la Cour des comptes qui avait précisément relevé de nombreux manquements dans l’hôpital public théâtre de ce drame.


L’Organisation tunisienne des jeunes médecins estime quant à elle dans une déclaration, que « ce drame est une nouvelle preuve de la détérioration du secteur de la santé publique en Tunisie et du peu de respect que voue le pouvoir politique à la vie humaine ».


Selon l’organisation, la responsabilité incombe au ministère de la Santé et au chef du gouvernement qui « s’est engagé à bloquer le recrutement dans le secteur de la santé jusqu’en 2022 […] et à licencier des dizaines de médecins et d’agents, ce qui ne manquera pas d’approfondir la crise en cours ».


Se désolidarisant du pouvoir de tutelle mais aussi des siens, l’Ordre des médecins tunisiens appelle à faire le suivi de toute enquête qui sera ouverte à ce sujet et à demander des comptes aux défaillants « aussi bien dans le cercle de pouvoir ou ailleurs ».


Si l’affaire ne se solde pas par une crise de régime dans les prochains jours, la course à la présidentielle semble de plus en plus ardue pour Youssef Chahed, qui après la pénurie de médicaments sous son règne et la dégradation sans précédent de la valeur du dinar tunisien, essuie sans doute là la pire affaire de son mandat.


 


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