Tunisie. Culture : Polémiques persistantes post clôture des JCC

 Tunisie. Culture : Polémiques persistantes post clôture des JCC

Pour le président Saïed, « les JCC ont dévié de leur vocation première et de leurs objectifs historiques »

La discrète démission de la directrice des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) samedi dernier, suivie de la tapageuse convocation de la ministre de la Culture, hier mardi, par le président de la République Kais Saïed, confirment que le malaise autour du festival est profond.

« L’édition 2022 des JCC n’a pas dérogé à la règle de ces dernières années, où l’évènement était davantage un défilé de mode qu’une semaine cinématographique », ironise Jamel Arfaoui, l’un des pionniers du journalisme tunisien, pour qui cette énième année dominée par l’entrisme était sans doute l’itération de trop. Car lorsque le tapis rouge et la surenchère provocatrice des invités éclipsent à ce point le palmarès des artistes, il est peut-être temps pour l’ensemble du secteur de procéder à une introspection critique.

Quelques heures seulement après la cérémonie de clôture et les remises des prix, Sonia Chamkhi, directrice de la 33ème édition des Journées cinématographiques de Carthage, annonçait dans une laconique déclaration son « départ » de la directrice du prestigieux festival international. « Je préfère retourner à mes activités d’écriture et la réalisation », arguait-elle, sans plus d’explications. Mais pour qui a suivi la houleuse semaine, cette démission qui ne dit pas son nom n’est pas une surprise.

 

De quoi les JCC sont-elles le nom ?

« Festival gay », « gay pride », « défilé LGBT », « orgie hymne à la frivolité et au vulgaire », « Journées du hard », (référence à un festival du film pornographique)… Les qualificatifs les plus virulents n’ont pas manqué sur les réseaux sociaux tout au long de la semaine, appelant quotidiennement à « punir les responsables de cet exhibitionnisme », là où d’autres internautes défendent le droit des minorités invitées à s’afficher ainsi dans un event culturel généraliste et mainstream.

Une problématique semble en revanche faire l’unanimité au sein de la profession : la place hégémonique faite aux « instagrameurs » et « instagrameuses », qui volent la vedette aux artistes, est perçue comme une forme de décadence du cinéma moderne, supplanté par un nouveau showbiz people. Tout comme l’industrie ciné use et abuse des réseaux sociaux pour marketer ses produits, mais ne voit pas d’un bon œil l’ombre qui lui est faite par les influenceurs, les responsables politiques font face à un dilemme tout aussi délicat.

« J’avais envisagé cette année de faire supprimer le volet montée des marches », se justifie sans conviction la ministre de la Culture, Hayet Ketat, dans un entretien consécutif à sa convocation par le Palais de Carthage. Mais la ministre tout comme la directrice bouc émissaire qui a servi de « fusible » commode, savent sans doute pertinemment la difficulté d’une telle décision, qui impliquerait de se mettre à dos une partie de la profession, sans compter les procès en conservatisme moral.

 

La procrastination en guise de solution

Etre en charge du portefeuille de la Culture en 2022, c’est un périlleux exercice d’équilibriste, entre concessions impératives faite au diktats « woke » et « gender fluid » de cette époque, et nécessité de rendre des comptes à la présidence populiste de Kais Saïed, un pouvoir exécutif moins réactionnaire que soucieux de contenir les vagues de mécontentement et autres tolets facebookiens. Hayet Ketat l’a appris à ses dépens, sermonnée telle une élève médiocre, par une hyperprésidence au mandat transversal, qui entend désormais s’ingérer dans tous les aspects de la vie, y compris culturelle.

En guise de mesures d’urgence pour stopper la débandade générale, la ministre a aujourd’hui décidé de revenir à une biennale, plutôt qu’à un festival annuel, ce qu’étaient devenus les JCC depuis 2014. Une façon de botter en touche et de remettre à plus tard la patate chaude d’un inextricable débat sociétal que nul ne souhaite ouvrir.