Tunisie. Croissance en berne : l’INS sanctionné pour avoir dit la vérité

 Tunisie. Croissance en berne : l’INS sanctionné pour avoir dit la vérité

L’INS fête ses 55 ans

Il n’y a que la vérité qui blesse, concède le dicton. Une fois n’est pas coutume, la page officielle de la présidence de la République s’est bien gardée d’annoncer la mesure d’éviction du statisticien en chef de l’INS sur les réseaux sociaux.

Discrètement, c’est cette fois uniquement via un décret publié au Journal officiel de la République tunisienne (Jort), le 22 mars 2024 que nous apprenons ainsi la nouvelle : le directeur général de l’Institut national de la statistique (INS), l’ingénieur général, Adnene Lassoued, a été limogé. La même source révèle que Bouzid Nsiri vient d’être chargé des fonctions de directeur général de l’INS par décret n° 2024-168 du 21 mars 2024.

Que reproche-t-on au juste à ce haut fonctionnaire dont la compétence est reconnue par ses pairs ? Le 20 février dernier, la Tunisie a selon l’INS enregistré un taux de croissance de 0,4% sur l’ensemble de l’exercice 2023, plaçant le pays bon dernier de la région MENA. Signe de l’impartialité de l’Institut, ce chiffre fort préoccupant est même en deçà des prévisions de l’ensemble des organismes financiers internationaux. Ce bulletin indiquait même une croissance négative (-0,2%) au quatrième trimestre 2023, ainsi qu’un chômage en hausse, à 16,4%, des données certes abondamment relayées par l’opposition au régime, cette dernière étant précisément dans son rôle.

>> Lire aussi : Tunisie. Seulement 0,4% de croissance en 2023, un chiffre qui inquiète

Comme l’exigent les attributions de l’institution créée dès 1969, l’INS a bien détaillé les modalités de ce repli économique, en expliquant qu’il est « dû essentiellement à un repli au niveau de l’agriculture de -11,2%, l’industrie de -1,5%, et le secteur du bâtiment et les travaux de construction de -4,5% », des faits scientifiquement établis par ses experts qui ne sont au final que des observateurs.

 

Un limogeage digne des méthodes soviétiques

Sauf que pour le malheur du dirigeant de l’Institut national de la statistique, la nouvelle va à contre-courant de la propagande officielle de l’actuel pouvoir tunisien. Le lendemain de l’éviction de l’ingénieur, la page Facebook de la présidence du gouvernement se fendait vendredi d’un tout autre narratif à la faveur duquel le ciel est bleu et tout va très bien madame la Marquise :

 

Se focalisant sur les rares éclaircies au tableau telle que l’endettement qui se résorbe de 0,3%, sans en donner le contexte lié à la diminution drastique des importations alimentaires, l’illustration plutôt simpliste dépeint une réalité alternative, une situation qui fascinerait jusque hors de nos frontières, les partenaires de la Tunisie étant « impressionnés par la résilience du pays », à en croire le document.

Le caractère surréaliste du limogeage du directeur de l’INS n’a pas manqué de provoquer les railleries des internautes qui avaient prédit cette punition sur le ton de l’ironie, étant donné son caractère prévisible. « La nouvelle mouture de l’INS vous annoncera en 2025 le miracle du dragon économique tunisien, la future Singapour ! », commente-t-on l’absurdité de la chose sur Twitter.

Le peintre Jean-Jules-Antoine Lecomte du Nouÿ dans son œuvre Les Porteurs de mauvaises nouvelles décrit la réaction violente du tyran qui exécute le messager qui vient d’annoncer un fait négatif. Dans Œdipe roi (-420 av. JC), Sophocle écrit le proverbe « Ne tuez pas le messager ». Dans Antigone de Sophocle, on peut entendre la phrase « Personne n’aime le messager porteur de mauvaises nouvelles ».

Depuis le coup de force du 25 juillet, la longue liste des responsables limogés par le président Kais Saïed avoisine désormais les quatre-vingts.