Tunisie. Crise politique : les réactions à l’international se multiplient

 Tunisie. Crise politique : les réactions à l’international se multiplient

Kais Saïed et Leïla Jaffel

Signe qu’il compte aller jusqu’au bout de sa démarche, en recevant mercredi sa ministre de la Justice Leïla Jaffel, le président de la République Kais Saïed a une fois de plus renchérit dans sa rhétorique éradicatrice.

« Ceux qui ont comploté contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État et ceux qui continuent à sévir en ce sens dans tous les domaines ne peuvent pas jouer le rôle de victime », a affirmé le président Saïed qui ne s’interdit plus les ingérences dans les affaires judiciaires en cours en Tunisie.

Le même jour, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, s’entretenait avec Volker Turk, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, dans le cadre d’une visite de travail qu’il effectue à Genève. Selon une même logique de la fuite en avant, le responsable tunisien a surenchéri : « les autorités tunisiennes veillent au respect rigoureux des droits de l’Homme et de la législation tunisienne, contrairement à ce qui est véhiculé à dessein dans le but de ne pas divulguer les responsabilités engagées dans l’entreprise d’action graves ».

Pourtant, du journaliste au simple internaute, l’opinion publique a pris connaissance de la plupart des PV quotidiennement et massivement fuités sur les réseaux sociaux en provenance de l’enquête (plus de 900 pages à ce jour), à tel point que certains soupçonnent des leaks délibérés destinés à prendre à témoin les Tunisiens et les partenaires économiques du pays.

 

L’ambivalence de la France

Alors que l’affaire dite du complot présumé « contre la sûreté de l’Etat » entre dans sa troisième semaine et atteint bientôt la centaine d’individus interrogés ou en détention, pour la plupart des opposants au régime, les réactions sans appel s’intensifient à l’étranger, hormis la position pour le moins prudente de la France, qui a alterné coup sur coup la « préoccupation » et la normalisation.

Lors d’un point de presse le 24 février 2023, la France exprimait en effet « sa préoccupation face aux récentes vagues d’arrestations en Tunisie », et appelait les autorités tunisiennes à « veiller au respect des libertés individuelles et des libertés publiques, notamment la liberté d’expression », des propos relayés par l’ambassade de France à Tunis sur sa page officielle.

« La Tunisie a fait des progrès considérables en matière d’État de droit et de libertés publiques depuis 2011. Ces acquis démocratiques doivent être préservés », préconisait alors la même source. Mais voilà qu’hier 1er mars, l’Ambassadeur André Parant et Nabil Ammar, Ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’Étranger, s’affichaient tout sourire, avec en prime l’assurance de l’appui français auprès du FMI. « Tout va très bien Madame la Marquise ! », tweetent en chœur des blogueurs incrédules.

 

Ce n’est pas ce que pense un collectif d’intellectuels français de premier plan, aux antipodes de cette bonne humeur diplomatique ostentatoire. Ainsi des avocats, des intellectuels et des journalistes, parmi lesquels Eva Joly, Edgar Morin, Daniel Cohn-Bendit et Khadija Ryadi, fustigent dans une tribune publiée par Le Monde le durcissement de la répression dans le pays et s’inquiètent de l’absence de toute réaction de la part de la communauté internationale.

Également en Une du Monde l’avant-veille, « L’étoile assombrie de la Tunisie de Kaïs Saïed », un texte à charge de Frédéric Bobin où ce dernier quitte sa posture de correspondant pour constater « la fin du « printemps » tunisien désormais actée » et « la dérive répressive du régime autocratique du président tunisien, au prix d’une réputation internationale gravement endommagée ». Des propos qui concordent avec la virulente diatribe, en vidéo, de Pascal Boniface qui parle de « La faillite du modèle tunisien ».

Même constat alarmiste de l’ONG Human Rights Watch qui détaille dans un rapport en trois langues plusieurs exactions estimant que « Le président lance des accusations de « complot » sans fournir aucune preuve ». Les médias anglophones ne sont pas en reste : « Critiquer Saïed est maintenant un crime », titre le 28 février le prestigieux World politics review.

Visiblement peu catastrophé par cette autarcie subie à laquelle vient s’ajouter la polémique des propos présidentiels sur « le complot visant à modifier la démographie arabo-islamique de la Tunisie », le pouvoir tunisien a accepté que la République de Guinée diligente le rapatriement volontaire de ses ressortissants. « Ce vol spécial humanitaire a été diligenté par le chef de l’État, le Colonel Mamadi Doumbouya, pour aller urgemment au secours des Guinéens vivant dans ce pays du Maghreb », précise un communiqué de la présidence de la République de Guinée.

 

L’opposant historique Hamma Hammami a appelé hier ce qui reste du leadership de l’opposition non incarcérée à manifester en rangs unifiés ce dimanche 5 mars.