Covid-19. Lotfi Saïbi : « Trois scénarios de sortie de crise économique »
Au moment où les autorités sanitaires tunisiennes annoncent 362 cas enregistrés de Coronavirus, et où le pays retient son souffle en attendant de savoir jusqu’à quand se prolongeront les mesures de confinement, les premiers heurts sociaux ont éclaté dans le gouvernorat de l’Ariana, quartier de la Mnihla, où des jeunes ont bloqué les routes, exigeant de pouvoir retravailler. Nous avons demandé l’avis de Lotfi Saïbi, expert et figure publique de la scène entrepreneuriale tunisienne et internationale, sur les possibles scénarios de sortie de crise, à terme, pour une économie tunisienne déjà asphyxiée.
Lotfi Saïbi est titulaire d’un Master en Management de l’Université Harvard. Avec plus de 25 ans d’expérience notamment dans la planification stratégique, il a enseigné dans plusieurs écoles supérieures et universités aux USA. Il a aussi dirigé plusieurs entreprises dans les domaines de Finances et des TIC, de même qu’il a siégé dans plusieurs conseils d’administration, et est membre de l’American Society of Training Developers. En partenariat avec l’ONU, il a proposé l’examen du rôle du leadership politique dans les initiatives de transformation de l’État, et dirige un cabinet de conseil en management.
Le Courrier de l’Atlas : Malgré les aides sociales exceptionnelles débloquées par le gouvernement Fakhfakh, un climat anxiogène prévaut aujourd’hui en Tunisie. A quoi peut-on s’attendre dans les tous prochains mois ?
Lotfi Saïbi : Je tiens à préciser que n’étant pas à proprement parler expert en macroéconomie, mes remarques procèderont en l’occurrence du simple bon sens et de mes connaissances en histoire, en d’autres termes, l’observation du comportement des décideurs, et l’application de diverses variables socio-économiques pour en tirer plusieurs scénarios.
Sur le plan économique, je pense que trois scénarios potentiels peuvent déterminer le moment où la macroéconomie du pays pourrait se redresser, ainsi que leurs conséquences, selon la date où le pic de nouveaux cas de coronavirus aurait lieu en Tunisie.
Le plus optimiste, appelons-le le « redémarrage du printemps », qui n’est réalisable si les coronavirus venait à atteindre un pic à la mi-avril, permettant à une activité économique généralisée de reprendre fin mai, début juin 2020.
Concrètement, le volet économique de la crise ne durerait alors que six à huit semaines, laissant de nombreuses industries légèrement ébranlées mais capables de rebondir, bien que des industries telles que les hôtels, les restaurants, les loisirs et les transports, plus généralement l'industrie des services, continueraient de subir de des difficultés en l’absence d’un réel soutien gouvernemental. Le chômage pourrait hélas atteindre 20% d’ici fin mai (contre environ 15% actuellement, ndlr).
Les dépenses de consommation globales diminueraient de 2 à 5% ces prochains mois, par rapport à 2019, et nous pourrions voir des tensions sociales supplémentaires dans certaines régions du pays. Nous enregistrerons également de fortes baisses des investissements, de la fabrication, des exportations et, bien sûr, du tourisme…
LCDA : Qu’en sera-t-il si l’épidémie n’atteint son pic qu’en mai prochain en Tunisie ?
Lotfi Saïbi : C’est précisément le deuxième scénario, que nous appellerons la « courbe en V de septembre », qui se produirait probablement si les nouveaux cas de coronavirus atteignaient un pic en mai, entraînant un redémarrage économique seulement vers le mois d’août : des industries telles que les télécoms, les médias, les centres d’appels rejoindraient la liste des plus touchés dans le premier scénario. Sans parler de l'économie informelle, car les dépenses des ménages se limiteraient aux simples achats essentiels.
L'économie se contracterait de 50% au cours du troisième trimestre, entraînant un taux de chômage d'environ 25 à 30% au quatrième trimestre…
Socialement, les agitations sociales, les émeutes dans les rues et le chaos général seront généralisés. Les efforts du gouvernement seront insuffisants pour éviter cette crise, laissant peut-être l'intervention de l'armée comme seule solution.
Le troisième scénario, le « rétablissement 2021 », suppose que le monde ait réussit à venir à bout du virus, du moins à juguler l'augmentation des nouveaux cas de coronavirus et à alléger la pression sur le système de santé mondial d’ici 2021. C'est le pire des cas de figure pour la Tunisie. C'est dans ce scénario que les entreprises qui ont échappé aux deux premiers scénarios, comme les assurances, les banques d'investissement ou d'autres entreprises professionnelles, quitteraient le pays ou cesseraient d’exister. Cela entraînerait aussi vraisemblablement une panne de la plupart des institutions gouvernementales, surtout le Parlement.
Quel que soit le scénario auquel nous assisterons, les choses ne seront pas beaucoup mieux pour les pays à notre nord. Ils seront juste légèrement meilleurs et leur récupération serait un peu plus rapide. Cela pourrait créer un une vague migratoire supplémentaire en leur direction.