Coronavirus : le dilemme de l’exécutif
Avec une capacité très limitée de 240 à 300 lits en réanimation, voire seulement 200 selon une dernière déclaration ce weekend du ministre de la Santé Abdellatif Mekki qui prévoit de les porter bientôt à 500 lits, médecins et urgentistes tirent la sonnette d’alarme au moment où l’exécutif hésite à prendre des mesures de fermeté plus drastiques.
« Un conseil ministériel se tiendra tout au long de ce lundi 16 mars pour discuter de mesures supplémentaires dans le cadre de la lutte contre la propagation de la pandémie Covid-19. Le chef du gouvernement s’adressera au peuple, en fin de journée, afin de donner de nouvelles directives ». C’est ce qu’annonce en fin de matinée le site officiel de la Kasbah.
Et pour cause, les mesures annoncées par le numéro 1 de l’exécutif Elyes Fakhfakh dans son allocution du vendredi 13 mars au soir ont été perçues comme un compromis entre « mesurettes timides » et d’autres plus fermes, dont la suspension des prières collectives y compris la prière du vendredi, même si cette disposition est déjà mise à mal par le comportement de certains prieurs qui organisent, depuis, des prières collectives improvisées aux abords des mosquées.
Si le chef du gouvernement se prévaut d’avoir engagé des mesures de type phase 3 avant l’heure, alors que le pays qui n’en est officiellement qu’à une vingtaine de cas n’est techniquement qu’en phase 2, divers experts et analystes ont fustigé notamment « la demie mesure » consistant en la fermeture des cafés et établissements de restauration à partir de 16h, à défaut de couvre-feu.
« Le mal est fait, le Coronavirus ne va pas débarquer à 16h05, une fois que les citoyens quitteront ces véritables fiefs à contamination que sont les cafés », ironise-t-on sur les réseaux sociaux qui déplorent une volonté de plaire à tout le monde : opinion publique et professionnels du secteur.
Idem pour le maintien d’un vol unique de Tunisair à destination de la plupart des villes européennes, désormais l'épicentre mondial de l’épidémie, mesure qui a d’ailleurs fait l’objet d’un cafouillage durant ce weekend avec le PDG de la compagnie nationale qui annonce à son tour une réduction plus drastique de ces vols.
Colère d’une partie du patronat tunisien
Au lendemain de cette première batterie de restrictions, les premières tribunes acerbes tombent, dont celle de Hédi Hamdi, journaliste spécialisé dans le tourisme et le transport aérien, et lui-même dirigeant de PME, qui titrait samedi : « M. Fakhfakh, vous aurez sur la conscience la mort de milliers d’entreprises ! ».
« Votre intervention a laissé sur sa faim le tissu économique pour lequel vous n’avez pas eu le moindre petit mot, ne serait-ce que pour lui donner une lueur d’espoir, une note de soutien, fut-il moral », regrette ainsi l’éditorialiste.
L’exercice n’est cependant pas évident pour ce délicat baptême du feu de Fakhfakh, qui livrait là sans doute l’un de ses discours les plus importants dès ses premiers jours de mandat. Si dans leur ensemble les premières mesures furent accueillies avec soulagement, les critiques fusent selon les professions et les groupes d’intérêt dans le contexte d’un pays déjà à croissance quasi nulle au dernier trimestre 2019, avant même le déclenchement de la crise sanitaire mondiale.
Avec le spectre d’une violente grogne sociale si rien n’est fait par l’Etat providence pour accompagner l’action répressive et le confinement, des économistes conseillent les dirigeants tunisiens, outre l’incitation au télétravail à domicile, de faire contre mauvaise fortune bon cœur, en profitant au moins de la manne provenant de la crise pétrolière pour revoir à la baisse le coût crucial, dans le budget 2020, à l’achat du baril, et faire un achat stratégique préventif massif pendant que ce prix est au plus bas.
En attendant, maintenant qu’elle a annoncé avoir jugulé le virus à défaut de l’endiguer, la Chine soucieuse de soigner son image à l’international, a envoyé les premières aides médicales à destination de plusieurs pays de la région dont la Tunisie.