Confiant et solennel, Kais Saïed prête serment
Lors d’une cérémonie de prestation de serment devant le Parlement au cours de laquelle Kais Saïed fut investi 7ème président de la République tunisienne, le juriste de formation a livré un discours d’intronisation d’une rare maîtrise déclamatoire, aux accents éminemment pro révolution de 2011. Compte rendu d’une journée historique pour la jeune démocratie Tunisie.
« Ce que nous vivons aujourd’hui a ébloui le monde entier : en Tunisie le peuple a innové en choisissant son destin dans le respect des institutions démocratiques », a martelé Kais Saïed en ouverture de son allocution
Que l'on soit ou non un partisan de Kais Saïed, nul ne peut nier l’aisance qui le caractérise dans les solennités et qui le distingue de ses prédécesseurs. En prêtant serment sans trembler, impassible mais déterminé, ce relatif inconnu de la scène politique jusque récemment, est en effet rentré dans la fonction présidentielle comme dans un gant. Une facilité déconcertante, presque insolente, visiblement trépignant d’impatience d’être aux commandes.
Donnant à voir un quasi sans faute protocolaire, l’Assemblée des représentants du peuple a pour sa part renvoyé l’image d’institutions démocratiques tunisiennes désormais bien rodées, qui forcent l’admiration de pays voisins tels que l’Algérie, l’Egypte et même jusqu’au Liban, tous actuellement en proie à un tumulte insurrectionnel qui s’installe dans la durée.
Des couches populaires réconciliées avec Carthage
En ce 23 octobre chargé en symbolique historique, 8 ans jours pour jour après la séance inaugurale de l’Assemblée constituante post révolution, la journée avait commencé par un rappel de la ferveur populaire spontanée et inédite dont jouit la figure de Kais Saïed : aux abords de son domicile dans le modeste quartier de la Mnihla, quelques centaines de riverains ont attendu la sortie du cortège présidentiel, comme fascinés par l’histoire qui s’écrit sous leurs yeux, mais aussi pour saluer « leur » président.
Ailleurs, dans plusieurs cafés populaires, à l’appel de groupes dans les réseaux sociaux, d’autres citoyens se sont promis de prêter serment concomitamment avec Saïed, chacun son Coran à la main, une façon de s’approprier le pouvoir avec lui davantage que de le lui déléguer.
Hommage appuyé aux martyrs
Dans son discours à coloration doublement révolutionnaire, du moins si l’on adhère à la thèse d’une seconde dynamique révolutionnaire panarabe en cours, Kais Saïed a longuement salué les martyrs de la révolution de 2011, comme pour conforter un retour au premier carré, mais tout en déclarant avoir « la conviction d'ouvrir un nouveau chemin ».
« L’attente n’a que trop duré » a-t-il ainsi lancé en ouverture de discours, comme pour signifier au parterre qui l’écoute, composé notamment d’anciens chefs de gouvernements et du numéro 1 d’Ennahdha Rached Ghannouchi, qu’il ne compte pas faire dans les amabilités d’usage.
Le président fraîchement investi a par ailleurs reconnu que son mandat correspondra à un seuil des attentes très élevé, spécialement auprès des jeunes et des laissés pour compte de ces 9 dernières années marquées par une morosité et un désespoir social grandissants.
Surnommé tant « Robocop » que « Monsieur propre », Saïed a ensuite consacré un volet conséquent de son discours à la promesse d’intransigeance contre la corruption et la dilapidation de l’argent public.
Farouchement anti israélien, il a redit son attachement à la « primauté de la cause palestinienne ». Conformément à la délimitation de ses prérogatives par la Constitution qui fait de la politique étrangère et de la Défense les deux champs de prédilection de la présidence de la République, Saïed a lancé un message fort à ceux qui doutaient de sa fermeté par rapport au terrorisme.
« Chaque tentative terroriste sera neutralisée par une pluie de balles de nos forces armées », a-t-il mis en garde, une phrase très applaudie, par laquelle il endosse aussi avec fermeté le statut de chef suprême des forces armées.
Incontestablement dans son élément en pareille occasion solennelle, le président que d’aucuns taxent de populisme bénéficie quoi qu’il en soit d’une légitimité rare, avec son score de 72,71% obtenu au suffrage universel du second tour contre un symbole de l’establishment médiatique et économique.
Une fois la passation des pouvoirs effectuée avec Mohamed Ennaceur à la mi-journée, l’identité de ses collaborateurs au palais de Carthage devrait renseigner un peu plus dans les tous prochains jours sur la tonalité de son mandat et la faisabilité de ses promesses.