Conférence de l’investissement : bilan opaque et contestation en hausse

 Conférence de l’investissement : bilan opaque et contestation en hausse

Manuel Valls


Au troisième et dernier jour de la Conférence « Tunisia 2020 », l’heure est au bilan, mais aussi à l’escalade des protestations sociales qui ont rencontré une répression particulièrement violente, Avenue Mohamed V. De son côté le Qatar, dominateur, enfonce le clou et prend en charge les frais d’organisation de la conférence à hauteur de 2,4 millions d’euros.


La veille, une vingtaine de conventions et de mémorandums avaient été signées, notamment avec les responsables de Commissions de l’Union européenne, de la BEI (Banque européenne d'investissement), de la BRED (Banque régionale d'escompte et de dépôts), la KFW (Établissement de crédit pour la reconstruction) et l’AFD (Agence française de développement) pour un montant plus de 3,1 milliards d’euros qui se déclinent comme suit :


UE : 200 millions d’euros


BEI : 2,5 milliards d’euros + 246 millions d’euros de ligne de crédit


BERD : 46,5 millions d’euros


KFW : 105 millions d’euros


AFD : 3 millions d’euros


Autre grand effet d’annonce, la signature d’un protocole d’accords entre Airbus Safran Launchers et Telnet Holding, d’une valeur de 120 millions de dinars.


Mais au-delà de cette ostentation des chiffres, les analystes les plus sceptiques rappellent qu’en débit de la récente adoption par l’Assemblée d’un nouveau code de l’investissement, ces montants restent « soumis à l’épreuve de la bureaucratie tunisienne et d’une administration non encore réformée en matière d’inertie ». De nombreux accords de principe avaient en réalité été conclus plusieurs années auparavant, l’actuel sommet ne servant souvent que d’opportunité de vitrine politique destinée à ceux qui veulent bien croire en toutes les promesses.


Ainsi Walid Haddouk, conseiller économique, insiste sur le fait que les puissantes multinationales modernes n’ont « nullement besoin de ce type de conférence pour être au fait de la situation économique, sécuritaire et institutionnelle des pays où elles comptent investir. De nos jours, c’est même elles qui, fortes de leur avance technologique, communiquent ces informations à des parties gouvernementales… ».


Signe que les marchés du change restent perplexes, l'euro reste à son même niveau de plus haut historique face au dinar tunisien, à 2,44 dinars pour 1 euro.


 


Avenue Mohamed V, des dizaines de manifestants de gauche ont décidé de « remettre ça » pour un deuxième round de contestation. Alors qu’ils étaient encore à quelques centaines de mètres du palais des congrès, la police anti émeutes les charge et les disperse brutalement, causant des blessures diverses et des évanouissements parmi les manifestants.


« Nous allons nous rabattre sur les abords du Théâtre municipal, et nous reviendrons toujours plus nombreux, ils n’auront aucun répit ! », promet l’un des émeutiers. Parmi leurs contentieux avec le sommet, la suspicion qu’il s’agit aujourd’hui de réintégrer certains hommes d’affaires corrompus dans le système financier.


Sur les réseaux sociaux, certains ministres du gouvernement Chahed ont mobilisé leurs profils pour marteler un slogan controversé : « #Tunisia_is_back », une thématique de la restauration souvent employée par Béji Caïd Essebsi qui souhaite que la Tunisie « retrouve sa place parmi le concert des nations ». Mais laquelle au juste ? S’il s’agit de la place occupée par la kleptocratie d’avant révolution, le message du « retour » apparait davantage comme un retour nostalgique à une situation qui mettrait entre parenthèses la révolution de la dignité.


 


Seif Soudani