Comparution en justice du ministre de l’Energie : quelles conséquences politiques ?

 Comparution en justice du ministre de l’Energie : quelles conséquences politiques ?

Au premier plan


 


Le ministre de l’Energie, des mines et des Energies renouvelables Khaled Kaddour a comparu devant le juge d’instruction dans le cadre d’une affaire portée devant le Pôle judiciaire financier de Tunis. En toile de fond : une guerre contre la corruption non sans arrières pensées politiques. 


Après la récente comparution en tant que témoin d’un ambassadeur en exercice dans une autre affaire, coup de tonnerre dans la scène politico-médiatique tunisienne lorsqu’en fin de semaine dernière c’est cette fois un ministre en exercice qui comparait en tant qu’accusé dans une affaire de malversation. Si ces affaires inaugurent une nouvelle ère post révolution de non impunité pour les officiels, elles ne sont pas sans conséquences pour le gouvernement Chahed politiquement fragilisé, peut-être pris au piège par sa propre guerre contre la corruption.  


Face à ce scénario relativement inédit, l’avocat du ministre de l’Energie a demandé le report de l’audition de son client, « afin de permettre à la défense de prendre connaissance du dossier » lit-on dans un communiqué du ministère, là où certains observateurs s’attendaient à une démission de l’intéressé.  


 


Une affaire complexe liée au marché opaque des hydrocarbures


Comme dans l’affaire Abdelkafi, un autre ministre du gouvernement Chahed rattrapé par une affaire de corruption à la douane (celle-ci vient d’ailleurs de faire appel), la plainte fut aussi en l’occurrence déposée dès mai 2013. En cause : une autorisation contestée accordée fin 2011 par la commission consultative des hydrocarbures de l’époque, concernant le transfert des droits et obligations de la société pétrolière « Voyageur » (500.000 mille actions) disposant du permis de prospection "permis Borj Khadra Sud", lequel est détenu par Slim Chiboub dont le nom figure sur la liste des individus concernés par le décret de la confiscation, et en faveur de la compagnie « Andarko Beks Tunisia Compagny ».


Autre irrégularité, ce transfert d’actifs a par ailleurs eu lieu après la promulgation du décret relatif à la confiscation des fonds et biens mobiliers et immobiliers publié le 14 mars 2011 et amendé par le décret n°47 datée du 31 mai 2011.


L’avocate Faouizia Becha qui a déposé la plainte affirme que l’opération de cession est illégale et constitue un détournement de fonds « appartenant au peuple », étant donné que les biens du gendre du président déchu Chiboub étaient déjà des biens confisqués.


 


Cinq autres personnes concernées par la plainte


Selon maître Becha, cette plainte a été déposée en 2013 contre le ministre actuel de l'énergie Khaled Kaddour qui était alors président de la commission consultative des hydrocarbures et directeur général adjoint de l'Entreprise tunisienne d'activités pétrolières (ETAP). La plainte est déposée également contre Slim Chiboub, Abdelaziz Rasaa, ministre de l’Industrie à cette époque, Rachid Ben Dali, directeur général de l’énergie au ministère de l’Industrie et Mohamed Akrout, directeur général de l’ETAP ainsi que la compagnie Andarko Beks Tunisia Compagny », dont le représentant légal est Salaheddine Caied Essebssi, le frère de l’actuel président de la République Béji Caïd Essebsi.


Me Becha ajoute que les membres de la commission consultative des hydrocarbures qui ont autorisé l’opération de cession « ont commis un crime contre le peuple » et violé l’article 2 du décret de la confiscation ainsi que l’article 9 qui stipule l’annulation de tous les contrats et accords conclus depuis le 14 janvier 2011, lesquels sont relatifs aux biens fonciers et mobiliers concernés par l’article 1er du décret de la confiscation.


Pour sa part, le ministère de l’Energie a indiqué dans son communiqué que la plainte a concerné le dossier de transfert des actions du permis d’exploration de pétrole soumis à la commission, laquelle avait alors émis "un simple avis technique" avant de transférer le dossier à la commission de confiscation.


« Khaled Kaddour fournira à la justice toutes les explications et preuves prouvant la conformité des procédures adoptées par la commission consultative des hydrocarbures dans ce dossier », conclut le ministère.


Difficile de ne pas penser que l’affaire, qui ne réapparait que plus de quatre ans après le dépôt de la plainte, n’est pas motivée au moins en partie par les luttes de pouvoir désormais déclarées entre la Kasbah et Carthage.


Avant la révolution, Khaled Kaddour avait occupé plusieurs postes importants, notamment celui de directeur général de l’Energie au ministère de l’Industrie ainsi que celui PDG de la Société italo-tunisienne d’exploitation pétrolière (SITEP) entre 2008 et 2011. En reconduisant dans son gouvernement d’anciens hommes du sérail de l’ère Ben Ali, Youssef Chahed savait qu’il prenait un risque, ne serait-ce qu’un risque en termes de crédibilité dans la lutte anticorruption.


 


S.S