Tunisie. Communiqué conjoint des ambassadeurs du G7 et de l’UE sous forme d’avertissement
Huit chefs de mission diplomatique en Tunisie, ceux des pays du G7 ainsi que l’ambassadeur de l’Union européenne, ont rendu public un communiqué conjoint le 10 décembre dans lequel ils réaffirment notamment leur attachement à « un retour rapide au fonctionnement des institutions démocratique, avec un Parlement élu jouant un rôle significatif ». Un texte considéré hier dimanche comme « une ingérence inacceptable » par les soutiens politiques du président Saïed.
Un communiqué relayé par l’ambassade des Etats-Unis à Tunis
Au timing assurément non fortuit, quelques jours avant les importantes annonces qui doivent faire suite à l’abrogation unilatérale de la Constitution par le président de la République Kais Saïed, ce texte aussi concis que ferme contient plusieurs semonces à lire entre les lignes. D’autant plus qu’il s’agit là de la deuxième fois en trois mois que ces grandes puissances réitèrent leur requête en ce sens. Mais cette fois, G7 et UE conditionnent encore plus clairement leur soutien économique à la Tunisie au respect de leurs doléances.
« Un processus politique inclusif et transparent »
Il n’a sans doute pas échappé aux signataires du document que le processus constituant en cours se passe dans l’opacité la plus totale. Depuis le 25 juillet et le « coup d’Etat constitutionnel » qui prend désormais tout son sens avec la récente accélération des évènements, le chef de l’Etat, seul à bord de l’exécutif, a réuni plusieurs fois un petit comité restreint de trois juristes constitutionnalistes avec lesquels il prépare un référendum.
Le dernier entretien du président Saïed accordé à des journalistes tunisiens remontant à janvier 2020, c’est l’un de ces juristes, Amine Mahfoudh, qui a révélé le 10 décembre quelques détails de ce qui se trame à Carthage : ni plus ni moins qu’une nouvelle Constitution express, sans passer par une Assemblée constituante. L’homme cite en exemple à cet égard la genèse de la Vème sous Charles De Gaulle. Rien que ça. Quoi qu’il en soit ces tractations ont sûrement motivé la sortie des pays du G7.
« Le respect des libertés fondamentales de l’ensemble des Tunisiens à travers un processus politique inclusif et transparent, impliquant une large participation des forces politiques et sociales du pays, suivant un calendrier précis, pour permettre le retour rapide au fonctionnement des institutions démocratique, avec un Parlement élu jouant un rôle significatif », peut-on lire dans un communiqué où chaque terme compte.
Les signataires affirment : « Nous, chefs de mission des ambassades d’Allemagne, du Canada, des Etats-Unis d’Amérique, de France, d’Italie, du Japon, du Royaume-Uni, et de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie, soutenons fermement le peuple tunisien dans son aspiration à une gouvernance efficace, démocratique et transparente ».
Plus loin, une mention implicite aux négociations avec le Fonds monétaire international est lâchée :
« Nous réaffirmons l’importance de la stabilité socio-économique du pays pour répondre aux attentes du peuple tunisien. Nous encourageons et nous nous tenons prêts à accompagner la mise en œuvre rapide des avancées nécessaires au redressement de la situation économique et financière de la Tunisie, y compris celles qui sont actuellement en cours de discussion avec des partenaires internationaux, afin de protéger les plus vulnérables, et de créer les bases d’une croissance durable et équitable ». En clair, l’un ne va pas sans l’autre, pas question donc de donner un chèque en blanc à un pays qui plongerait dans le vide et l’inconnu institutionnels.
« Alors que la Tunisie s’apprête à prendre des décisions souveraines en matière de réformes économiques, constitutionnelles et électorales, nous réaffirmons notre attachement au respect des libertés fondamentales de l’ensemble des Tunisiens, et à un processus politique inclusif et transparent, impliquant une large participation des forces politiques et sociales du pays, suivant un calendrier précis, pour permettre le retour rapide au fonctionnement des institutions démocratiques, avec un Parlement élu jouant un rôle significatif. Cela permettra de garantir un soutien large et durable aux progrès futurs de la Tunisie », conclut le texte.
Protestation par procuration de la ceinture politique du président Saïed
Hier dimanche 12 décembre, un groupe de partis politiques (tendance baathiste et extrême gauche panarabiste souverainiste) et d’organisations a publié une sorte de contre-communiqué conjoint exprimant leur rejet du communiqué des ambassadeurs du G7 en Tunisie, appelant le président Saïed à condamner fermement ce qu’ils qualifient d’« ingérence » et de « chantage ». Tout indique que cette réponse de type proxy fut tout du moins commanditée par le Palais.
Ses auteurs affirment que les ambassadeurs du G7 tentent de faire chanter l’Etat tunisien, compte tenu de sa situation économique, « pour imposer leur vision de la voie politique », estimant qu’il s’agit d’une ingérence flagrante dans les affaires intérieures tunisiennes.
« Ce communiqué est une tentative flagrante de ces pays d’imposer des groupes de corruption et de terrorisme qui ont massacré l’État et le peuple ces dernières années, tout au long de la voie politique tunisienne, car ces groupes sont les meilleurs qui servent les intérêts de ces pays au détriment de la souveraineté de la Tunisie et des intérêts de son peuple », peut-on lire.
Ils appellent le président de la République à « prendre une position décisive ainsi que des mesures concrètes pour protéger la décision nationale et mettre fin à l’orgie des ambassadeurs étrangers en Tunisie, notamment les ambassadeurs du Groupe des Sept ». Un communiqué qui de par le ton employé, celui de la défiance, est digne de l’Irak des années 90.
La déclaration a été signée par le Mouvement Tunisie en Avant et le Courant Populaire, El Watad socialiste, le Mouvement Echaab et la Coalition d’Essoumoud, le Front populaire et le Groupe de travail progressiste.