Commémoration de la révolution : un anniversaire sur fond de régression des libertés

 Commémoration de la révolution : un anniversaire sur fond de régression des libertés


Tunis – C’est dans une ambiance pesante qu’ont lieu les timides célébrations du 5ème anniversaire du déclenchement de la révolution, qui semble davantage intéresser les médias internationaux que la presse locale. La date du 17 décembre passe au second plan de l’actualité, dans un pays focalisé sur la menace antiterroriste et ses conséquences en matière de criminalisation des mouvements sociaux et autres libertés individuelles et collectives.




 


Cinq années plus tard, si la fièvre contestataire est retombée, la commémoration du 17 décembre, date du déclenchement de la révolution par l’immolation de Mohamed Bouazizi, est encore observée spécialement à Sidi Bouzid où sa ville natale lui rend hommage dans le stade olympique de la ville toujours économiquement sinistrée.


Dans la capitale, plusieurs rassemblements et sit-in se tiennent depuis 09h00 pour dénoncer des procès politiques ou liberticides, en concomitance avec l’anniversaire. Parmi eux, celui d’Abderraouf Ayadi, avocat et chef du parti radical Mouvement Wafa, ex opposant farouche au régime de Ben Ali, qui comparait devant le Tribunal militaire pour outrage à magistrat dans le cadre d’une autre affaire où il remit en question la légitimité du même tribunal lors d’une plaidoirie.


« La désignation du 17 décembre pour la première audience de ce procès n’est pas innocente. Cela est motivé symboliquement et politiquement par la volonté d’envoyer un message de défiance nostalgique par cette cour, qui s’était illustrée récemment par la libération de plusieurs figures de la répression qui ont sévi sous Ben Ali », avance Ayadi.


Depuis mardi, une autre affaire agite la toile. L’activiste Aafra Ben Azza, 17 ans, alias « Afraa Rebel » lycéenne, comparait elle aussi en ce 17 décembre devant un juge du tribunal de première instance du Kef, pour avoir manifesté contre le rachat et la destruction du café Boumakhlouf, un café historique de la vieille ville, puis résisté à son évacuation. La jeune femme mineure a passé la nuit en garde à vue au commissariat de police, en attendant sa comparution immédiate pour outrage à un fonctionnaire public, un chef d’inculpation devenu très courant en Tunisie.


Arrêté et inculpé pour le même motif, Foued Laâjili (première photo ci-dessus), jeune blessé de la révolution amputé d’une jambe, comparait lui aussi ce 17 décembre, après avoir protesté contre la répression policière en marge d’une manifestation pour les droits des blessés…


Arrêtés suite à une descente de police dans le cadre de l’état d’urgence, Fakhri El-Ghezal, Atef Maatallah et Ala Eddine Slim, trois artistes d’abord soupçonnés d’activités terroristes, ont été condamnés à un an de prison ferme et à mille dinars d’amende pour consommation de cannabis, suite à un test positif. Respectivement photographe, dessinateur et réalisateur de cinéma, ils sont emblématiques d’une talentueuse jeune génération de la libération de la parole post-révolution.


Un tribunal de Kairouan a enfin condamné six jeunes étudiants accusés de « pratiques homosexuelles » à trois ans de prison le 10 décembre, en application de l’article 230 du code pénal. «Alors que les Tunisiens célébraient le prix Nobel de la Paix pour le quartette du dialogue national lors de la Journée mondiale des droits de l'Homme, un tribunal tunisien condamnait six étudiants à une peine digne du Moyen-Âge, avec une atteinte flagrante à leur vie privée et à leur intégrité corporelle », commente Amna Guellali, directrice du bureau tunisien de Human Rights Watch.


 


Seif Soudani